« Les Tragiques », la résurection !
« Les Tragiques », la résurection !
Indéniablement c'est dans « Les Tragiques » que l'on sent l'aboutissement de la puissance poétique d'Agrippa d'Aubigné. D'ailleurs Hugo ne s'y est pas trompé en proclamant : « Je suis frère de d'Aubigné ». Mais pour cela que de chemin parcouru depuis les poèmes légers de sa jeunesse et les moments où il mettra tout son pathétisme pour écrire cette sorte de longue épopée poétique.
Des amours déçus, mais surtout cette longue quête après l'improbable pour faire reconnaître la justesse de sa foi. C'est lors de son errance guerrière en l'an 1577 que lui vint l'inspiration
Au mois de juin de cette année là, ce fut le drame. Aux abords du château de Malvirade, l'indomptable soldat fut blessé, grièvement. Agonisant, on le rapatria à la garnison huguenote de Casteljaloux.
Là, sur son lit de souffrance, dans un état second engendré par la fièvre il imagina et ébaucha :
«Les Tragiques ».
Tous sortent de la mort comme l'on sort d'un songe.
Ainsi qu'il l'avait dèjà prouvé lors de sa première blessure sérieuse (Talci) l'homme était robuste, la grande faucheuse dut encore attendre ; dés le mois de juillet il retourna au combat.
Combats sans cesse renouvelés, avec des moments de désespoirs, l'amour avec la rencontre de Suzanne de Lezay puis le mariage, et l'éternelle poursuite dans la propagation d'une foi ardente. Ce fut son lot de tout les jours jusqu'au 31 décembre 1588, date à laquelle son ami Henry IV le nomma Gouverneur de la place forte de Maillezais, lieu où était cette abbayes de renom qui avait déjà vu un long séjour de Rabelais. Sont-ce les mânes des pensées du célèbre moine séculier secrétaire de d'Estissac qui inspirèrent Agrippa afin qu'il nous donne les Tragiques à partir de 1616 (trois tomes, 1616, 1618, 1620), on ne peut que le subodorer, en tout cas cela reste une belle image…
Beaucoup connaissent l'un des passages de Misère : « Je veux peindre la France, mère affligée, etc. », mais cet autre passage, « La résurrection de la chair », étant moins connu mais à mon goût encore plus puissant, j'ai envie de le faire partager. Certes, il s'agit une nouvelle fois d'une sorte d'ode à la gloire de sa foi protestante, à contrario peu importe pour l'athée que l'on peut être tant la poésie est forte et mérite d'être reconnue.
La terre ouvre son sein ; du ventre des tombeaux
Naissent des enterrés les visages nouveaux :
Du près, du bois, du champ, presque de toute places
Sortent les corps nouveaux et les nouvelles faces.
Ici, les fondements des châteaux rehaussés
Par les ressuscitants promptement sont percés ;
Ici, un arbre sent des bras de sa racine
Grouiller un chef vivant, sortir une poitrine ;
Là, l'eau trouble bouillonne, et puis, s'éparpillant,
Sent en soi des cheveux et un chef s'éveillant.
Comme un nageur venant du plus profond de son plonge,
Tous sortent de la mort comme l'on sort d'un songe,
Les corps par les tyrans autrefois déchirés
Se sont en un moment en leurs corps asserrés,
Bien qu'un bras ait vogué par la mer écumeuse
De l'Afrique brûlée en Thulée frauduleuse,
Les cendres des brûlés volent de toutes parts ;
Les brins plus tôt unis qu'ils furent épars,
Viennent à leur poteau, en cette heureuse place,
Riant au ciel riant, d'une agréable audace. ……
Si j'ai donné à lire ce poème que je trouve incomparable, la première raison est qu'il est rare que l'on lise d'Aubigné, la poésie aussi en générale, mais surtout j'ai pensé qu'en l'extrapolant à notre époque il imageait bien le peuple hagard surgissant de terre, des quartiers populaires pour se dresser avec audace contre un pouvoir d'exploiteurs.
Un peuple ressuscité ayant retrouvé sa dignité bafouée par les dominants, les châteaux rehaussés comme l'a si bien décrit Théodore Agrippa d'Aubigné…..
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