Le premier habitant du Marais.
Le premier habitant du Marais.
La religion et les religieux se targuent souvent d'être à l'origine de faits, de connaitre le pourquoi et le comment des évènements. Par conséquence ils en abusent et nous abusent en propageant à l'envie forces allégations qu'ils voudraient vérités. Les plus acharnés à nier le côté scientifique de l'évolution sont sans conteste les créationnistes. De tout temps ils ont sévi et propagé l'obscurantisme, malgré les avancées des sciences allant à l'encontre de phénomènes prétendus l'œuvre d'une main divine. Le Marais Poitevin n'échappera pas à ces affabulations bien orientées, comme le fait de prétendre que les eaux se seraient retirées brutalement le jour de la Toussaint 1469 à l'heure des vêpres, et cette étrangeté aurait durée jusqu'au matin. Parmi ces légendes, il y a celle de Saint Pien (Pien évêque de Poitiers au VI siècle), le Saint qui, porté par la vague, aurait atterri en l'île de Maillé pour la coloniser puisque devenu le premier habitant en ces lieux…
En dehors de cette fable, l'Histoire retiendra plus facilement, pour la gloire de cette charmante commune de Maillé située au confluent de la Sèvre Niortaise et de l'Autize, que c'est en ses murs qu'Agrippa d'Aubigné imprima et édita en 1616 les premières pages des « Tragiques ».
Naturellement, cet événement lié à la légende du Saint navigateur c'est perpétué et il y a encore des mystiques qui annuellement fêtent l'avènement de Pien aux environs du 15 mars. Comme tout ceci est faribole et invention, ayant fait quelques constations sur la population de ce Marais j'ai esquissé une autre version de l'Histoire, après tout, pourquoi les moines copistes seraient les seuls aptes à inventer des légendes, n'est-ce pas ? C'est donc à partir d'un constat que j'ai échafaudé une théorie qui en vaut bien une autre. En effet, courent en Poitou des noms propres ayant à l'origine le prénom Thibaud, dont la version la plus courante en Marais est le Thibaud d'eau, ça parait logique. Il était à fortiori intéressant de savoir d'où venaient ce nom et son évolution. Travail ardu, dont voici des conclusions qui valent ce qu'elles valent….
Si l'on veut, on pourra appeler cette version :
« Le premier habitant du Marais ».
Le Saint porté par la vague, Saint Pien, prend pied sur la terre ferme suivit de ces disciples, c'est l'heure de gloire. Qui d'autre qu'un Saint pouvait réussir un tel exploit !
Se prenant pour un conquistador avant l'heure, l'auréole flamboyante, il lève les bras au ciel et s'écrie prenant un dieu supposé à témoin : « Je suis le premier !!! ».
Les disciples heureux se disent eux aussi, enfin, nous sommes les premiers habitants de ce marais. Un territoire inconnu et sauvage s'ouvrant à eux, en gravissant la grève, les pieds s'enfonçant de plaisir dans la terre promise ce que n'aurait pas, d'après la légende, réussi Moise, ils perçoivent un bruit, une sorte de bruissement singulier, ils s'arrêtent, s'interrogent ?
« Est-ce le vent qui joue dans les roselières ? »
Ils écoutent tout en observant attentivement les alentours, mais surtout dans la direction des roseaux d'où semblaient venir les craquements légers, et d'un coup ils aperçoivent une tète hirsute, une tète d'homme qui grimace à travers la végétation. On imagine le désarroi de ces moines tenant le froc relevé pour n'en pas mouiller le bas. Ils se retournent alors vers le Saint le regard atterré, les deux mains maintenant pendantes ayant lâché le froc de stupéfaction.
Pien, bafoué par tant d'outrecuidance, jette son auréole et la piétine de dépit. Tabernacle, je ne suis plus le premier se dit-il, tordant le nez quelque peu marri.
Sa colère passée, il réfléchi. Faisant contre mauvaise fortune bon cœur, il se tourne vers les disciples, se recoiffant de son auréole cabossée pour asseoir son autorité, il jette alors d'un ton péremptoire : « Saisissez-vous de cet individu, désormais il sera des nôtres ! »
Ils n'eurent aucune peine à mettre à exécution la sentence car l'homme vint docilement en pensant in petto : « ô l'es ben, aneu y va avouère d'ô copain… ». Comme le dictionnaire du patois du Marais Poitevin de Pierre Gachignard n'avait pas encore été écrit, je traduis : « C'est bien, maintenant je vais avoir des copains. »
Sans se démonter par cette apparition qui déjouait ses plans et ternissait un tant soit peu sa postérité, Pien interroge un peu rudement notre brave maraichin, car c'est vrai qu'il avait l'air d'un bon gars.
« Ton nom ? » Dit-il peu amène.
Pas effarouché, l'interpellé répond : « Le Ti ».
Vous auriez vu la tète du Saint, au bord de la crise ! vitupérant il crie : mais ce n'est pas un nom de baptême, rétorque-t-il hargneux. Il faut comprendre qu'en ces temps là on pratiquait un peu comme le font les Mormons, on baptisait tout le monde, « Dieu reconnaitra les siens » comme aurait dit un certain Simon de Montfort, enfin, d'autres disent que ce n'est pas lui qui aurait dit ça, peut importe c'était de toute façon une sorte d'ange exterminateur.
Comme n'est pas Saint qui veut, il faut donc assumer pour que personne ne remette en doute le bien fondé de la sainteté et Pien n'y laissant rien paraître comme s'il avait retrouvé un calme dont il ne se serait pas départi, conclura : « Puisque c'est ainsi, il faut te baptiser. »
Il se met à cogiter, en effet, le Ti, ça fait pas très chrétien. Il lui vint alors une idée, se souvenant qu'il avait un pote saint comme lui qui s'appelait Thibaud, en regardant le Ti il finit pas se convaincre que celui-ci une fois débarbouillé aurait un aspect à peu près convenable, il décida donc de le nommer : Ti-Bau, ouf, l'honneur est sauf pensa alors Pien. Voilà une bonne chose de faite !
Il n'avait oublié qu'une chose, le baptême, c'était bien, mais il fallait aussi instruire le gaillard pour le convertir complètement à la foi. Si en apparence cela ne posait pas de problème parce que le Ti n'y était pas opposé ne sachant pas de quoi il était question. Lui, libre comme l'air, lui, faisant parti de ceux que les moines du XXIéme siécle appelaient communément Colibertis qui vient du latin cum-libertum : vivant librement, avait toutefois du mal à comprendre qu'il faille se plier à un quelconque rituel pour invoquer il ne savait qui, dans des circonstances de la vie où il pensait que le cours des choses n'était que le fait du hasard.
Son espace de liberté c'était son Marais. Il y passait ses jours et ses nuits, poétisant avec les nénuphars, poétisant avec les nichées de hérons cendrés, parcourant avec sa plate l'eau des conches en écartant délicatement la légère couche de lentilles d'eau. Quels autres plaisirs pouvait-il avoir que celui de voguer silencieusement à travers les frênes, respirant profondément l'odeur du marais, repoussante, tenace, mais si particulière, cependant attentif aux frémissements saccadés de l'abeille venue butiner le nectar de l'iris.
Par politesse, Ti-bau venait voir le saint de temps à autre, entre voisin il est de bon ton d'entretenir des relations courtoises. Pour cela il lui offrait un peu de lui-même, quelques anguilles, une tanche qui, les babines ouvertes à travers les lentilles, s'était fait surprendre par pêché de gourmandise, tout ce qu'un homme simple peut offrir par gentillesse et sans arrière pensée.
Quoi qu'il eu pu tenter, Ti-bau vivait librement. Tandis que les disciples, pliés sous la lourdeur de leur foi, construisaient, creusaient, bâtissaient, le pays. Le Saint fini par admettre difficilement et provisoirement devant le fait accompli qu'il est des races d'hommes que rien ne peut contraindre, Ti-bau étant de ceux là, celui qui vit sur l'eau, le premier habitant de ces marais, il l'appela, comme cela découle de source : Thi-Bau-D'eau…. Et fut obliger de conclure :
« Par tout les diables, qu'il aime son marais ! »
Si j'ai écrit cette légende, c'est d'abord pour montrer qu'avec un peu d'imagination on pouvait inventer des faits comme des sortes de faux-semblant historiques qui malgré qu'ils fussent allégoriques pourrait être ainsi gobé par le tout un chacun. C'est ce que les religions veulent souvent nous faire croire. Ce basant alors sur des inexactitudes, des mensonges, des inventions ils façonnent le monde à leur avantage. De plus, finissant pas être persuadés de détenir la vérité, ils n'ont de cesse que de vouloir imposer leurs vues sur la société. Le Ti est resté libre, mais combien de fois au cours de l'histoire qui va suivre ses descendants seront contraints, orientés, formatés vers la soi-disant bonne pensée par des prosélytes qui souvent ne s'embarrassent pas de préjugés moraux, quoiqu'ils en disent, quoiqu'ils le prétendent. Quand ils ne vont pas jusqu'à inventer une bonne guerre, qui ressemble à une sorte de croisade argumentée par des prétextes fallacieux.
Nous devons élever nos enfants dans la plus complète liberté d'esprit, surtout les éduquer pour qu'aucun formatage idéologique vraiment déterminé soit le moteur de leur pensée, apprenons leur avant tout l'esprit critique et l'ouverture permettant d'appréhender toute les diversités de la nature humaine.
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