Le Ragondin Furieux

Le Ragondin Furieux

Et demain ce sera pire !

Et demain ce sera pire !


Deux témoignages accablant de Jerôme Valluy et Anne-Maie Garat sur une dictature en puissance...

L'affaire Geisser , qu'il conviendrait mieux de nommer "Affaire Fonctionnaire de la Défense du CNRS", est à ce point hallucinante, qu'il faut du temps pour y croire, s'assurer que tout ceci n'est pas seulement l'expression de nos peurs inconscientes, prendre justement conscience des multiples enjeux... et bien sur rejoindre Esther Benbassa (attben@noos.fr), dans une démarche collective de soutien qui ne dépend ni des jugements sur telle ou telle personne, ni des jugements sur tel ou tel propos... mais d'un phénomène plus large que décrivait bien, en décembre dernier, le coup de colère de la romancière Anne-Marie GARAT, dans Télérama (02.12.08). A relire pour réfléchir sur le phénomène inverse des transitions démocratiques... celui des transitions autoritaires et notamment celle qui s'avance ici et maintenant. Une transition autoritaire qu'il conviendrait de mieux connaître sans attendre pour ne la reconnaître seulement de manière rétrospective à la lecture des futurs travaux d'historiens.

J.Valluy

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Coup de colère d'Anne-Marie Garat


« En 1933, depuis près de trois ans, le Reichstag avalise sans broncher ; les décisions se prennent sans débats ni votes. Von Hindenburg gouverne un coude sur l'épaule des SPD, tétanisés, un coude sur celle des nazis, bons bougres. Hitler n'a plus qu'à sauter sur l'estrade, grand clown des atrocités, impayable dans son frac tout neuf.

Qui prétend encore que c'est arrivé du frais matin ?

Le sommeil a bon dos, où naissent les songes, et les cauchemars. Mais on ne se réveille pas dans le pire, stupeur, au saut du lit : le pire s'est installé, insidieux, dans le paysage, banalisé par l'apathie ou l'incrédulité des uns, la bénédiction des autres.

Des gendarmes brutaux, grossiers, débarquent impunément avec leurs chiens dans les classes d'un collège du Gers, pour une fouille musclée ; le proviseur entérine, bonasse. Et le ministre de l'Education, qu'en dit-il ? Que dit-il de l'enlèvement d'enfants dans une école de Grenoble, d'eux et de leur famille expulsés en vingt-quatre heures, après combien d'autres ? Qui tient la comptabilité de ces exactions ordinaires ?

Un journaliste est interpellé chez lui, insulté, menotté, fouillé au corps, pour une suspicion de diffamation, qui reste encore à démontrer en justice… Qu'en dit la Garde des Sceaux ? Elle approuve (mutine bague Cartier au doigt, n'en déplaise au Figaro).

Nos enfants, nos journalistes, ce sont encore catégories sensibles à l'opinion.

Celle-ci s'émeut-elle ? Mollement. Elle somnole.

Mais les réfugiés de Sangatte, chassés comme bêtes, affamés dans les bois ; les miséreux du bois de Vincennes menacés de « ratissage », les gueux de nos trottoirs au vent d'hiver ? Les sans-papiers raflés, entassés dans des lieux de non-droit, décharges d'une société qui détourne le regard ignoble de son indifférence ? Et la masse des anonymes, traités mêmement comme rebut par une administration servile ? Au secours, Hugo !

Il y a de jeunes marginaux qualifiés par la ministre de l'Intérieur d'« ultra gauche » – spectre opportun des bonnes vieilles terreurs –, jusqu'ici, pure pétition communicationnelle… Sa police veille, arme à la hanche, elle arpente, virile, les couloirs du métro, des gares.

Sommes-nous en Etat de siège ? A quand l'armée en ville ?

Il y a le malade mental incriminé à vie par anticipation ; l'étranger criminalisé de l'être ; le jeune de banlieue stigmatisé pour dissidence du salut au drapeau : danger public ; le prisonnier encagé dans des taudis surpeuplés – à 12 ans, bientôt ; le sans-travail accusé d'être un profiteur, le pauvre d'être pauvre et de coûter cher aux riches ; le militant associatif qui le défend condamné, lourdement, pour entrave à la voie publique. Il y a le fonctionnaire taxé de fainéantise (vieille antienne) ; l'élu réduit au godillot ; le juge sous menace de rétorsion ; le parlementariste assimilé au petit pois ; la télé publique bradée aux bons amis du Président, qui fixent le tarif ; son PDG berlusconisé et des pubs d'Etat pour nous informer – à quand un ministre de la Propagande ? On en a bien un de l'Identité nationale. Et le bon ami de Corse, l'escroc notoire, amuseurs sinistres, protégés par décret du prince…

Criminalisation systématique de qui s'insurge, dénis de justice, inhumanité érigés en principe de gouvernement. Presse paillasson, muselée par ses patrons, industriels des armes. Intimidations, contrôles au faciès, humiliations, brutalités, violences et leurs dérapages – quelques précipités du balcon, quelques morts de tabassage accidentel –, sitôt providentiellement dilués dans le brouhaha des crises bancaires, de l'affairisme et du sensationnel saignant, bienvenue au JT : touristes égarés, intempéries, embouteillages du soir… Carla et Tapie en vedettes.

Ces faits sont-ils vraiment divers, ou bien signent-ils un état de fait ? En réalité, un état de droite. Extrême. Dire que Le Pen nous faisait peur…

Cela rampe, s'insinue et s'impose, cela s'installe : ma foi, jour après jour, cela devient tout naturel. Normal : c'est, d'ores et déjà, le lot quotidien d'une France défigurée, demain matin effarée de sa nudité, livrée aux menées d'une dictature qui ne dit pas son nom. Ah ! le gros mot ! N'exagérons pas, s'offusquent les mal réveillés. Tout va bien : M. Hortefeux est, paraît-il, bon bougre dans sa vie privée.

"Tout est possible", avait pourtant promis le candidat. Entendons-le bien. Entendons ce qu'il y a de totalitaire dans cette promesse cynique qui, d'avance, annonce le pire.

Sous son agitation pathologique, un instant comique – au secours, Chaplin ! –, sous ses discours de tréteaux, ses déclarations à tous vents, contradictoires, paradoxales, sous son improvisation politique (oripeau du pragmatisme), sous sa face de tic et toc s'avance le mufle des suicideurs de république, des assassins de la morale publique. La tête grossit, elle fixe et sidère.

Continuerons-nous à dormir ? Ou à piquer la marionnette de banderilles de Noël ? »

Anne-Marie Garat

Source : http://www.telerama.fr/livre/coup-de-colere-de-anne-marie-garat,36525.php

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Anne-Marie Garat est une romancière française. Elle a obtenu le Prix Femina pour son roman Aden en 1992 et le prix Marguerite Audoux pour son roman, Les mal famées. Ces romans se passent souvent à diverses époques du XXe siècle (les années 1910 pour Dans la main du diable, la seconde guerre mondiale pour Les mal famées) sans que la volonté de reconstitution historique soit trop pesante comme dans beaucoup de romans historiques. Après Dans la main du diable qui se déroule avant la Guerre de 1914, Anne-Marie Garat poursuit en 2008, avec L'enfant des ténèbres, sa magistrale fresque sur le XXe siècle, en évoquant les années 1930 et la montée des dictatures totalitaires. Source : http://fr.wikipedia.org/wiki/Anne-Marie_Garat#cite_note-1


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09/06/2009
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