Que veut en réalité l’Oncle Sam ?
Que veut en réalité l'Oncle Sam ?
Lors de l'élection d'Obama j'avais été à contre-courant de l'émoi populaire qui voyait dans le démocrate noir le nouveau sauveur de l'humanité. C'est donc d'une plume acide que j'avais écrit l'article titré: « Je hais l'Amérique » ou « Je honnis l'Amérique. Ecriture sans concession, voire parfois à la limite de l'anti-américanisme primaire ce que je revendique sans aucun remord. Cet état d'esprit m'avais conduit aussi à reprendre ce thème sous le titre : « Obama, une gueule d'ange au service d'un capitalisme pur et dur ? », en donnant à lire l'article de Andrew Hugues où celui-ci dénonce le capitalisme et l'hégémonie US, qui loin de s'estomper comme certains l'avaient rêvé auraient plutôt tendance à se renforcer…
Il ne s'agit pas de nier l'intérêt que l'élection d'un noir au demeurant sympathique a pu apporter dans l'esprit de communautés souvent écartées des plus hautes responsabilités de nos sociétés, mais de constater, malheureusement, que si une certaine apparence a pu changer, le fond reste le même. Si, autre chose a évolué, c'est la communication. Busch nous avait habitués à une certaine brutalité et puis tout a coup beaucoup de souplesse, de finesse, voire d'élégance, il faut au moins reconnaître ce changement, qui n'en fait que mieux estomper l'impérialisme omniprésent de la politique étasunienne.
Le dernier exemple en date étant le Honduras qui donne l'exacte mesure de l'importance que les States accordent à ce que même de petits Etats ne s'écartent pas de la pensée unique.
D'abord, que rêver de mieux que des élections prétendues truquées en Iran accaparant l'attention de la planète! Médiatisation à outrance qui a tourné tout les regards vers ce pays islamique dirigé par des religieux qui n'ont pas l'heur de plaire à l'oncle Sam. A tord où à raison d'ailleurs, on a fait se déchainer les presses du monde entier après Ahmadinejad qui a pour défaut à leur yeux de ne pas rentrer dans le rang avec son envie de bombinette atomique gênant son voisin israélien, et surtout d'être encore indépendant de l'hégémonie US. Pendant que le monde entier criait obnubilé contre le soi-disant despote, des putschistes entrainés dans un camp militaire US prenaient le pouvoir par les armes au Honduras.
Et oui, le président de cet Etat, Zelaya, avait eu le malheur de se rapprocher de ses homologues des pays mal-vus comme le Venezuela et la Bolivie, ce qui à l'évidence était preuve de mauvais goût pour certains. On entendit alors un silence assourdissant de la part des médias, si ce n'est que quelques bribes jetées ça et là en page deux des journaux. Bref, pas de quoi fouetter un chat. D'autant que le président Zelaya a trouvé refuge chez le grand frère US, alors de quoi se plaint-on ! Ce n'est pas parce que la CIA est en grande partie derrière ce coup d'état que l'on ne doit pas s'occuper des dommages collatéraux, en l'occurrence du président du Honduras qui est à n'en pas douter bien traité aux USA, étant à portée de la main. D'ailleurs, il a tenté une approche en allant jusqu'à la frontière et Hilary Clinton qui s'occupe particulièrement de sa santé lui à fait remarquer avec gentillesse qu'il n'était pas bon, du moins peut-être encore un peu tôt pour qu'il s'approchât de chez lui. Ca prouve quand même que la grande Amérique s'occupe bien de ses hôtes ! Superbe hypocrisie…
A travers cette communication bien orchestrée on décèle une réalité plus sordide. En effet, même si l'on ne peut qualifier Zelaya de révolutionnaire rebelle, voire d'anti impérialiste émule inconditionnelle du Che, il n'empêche que son rapprochement avec Chavez et Morales faisait désordre et confirmait que le mauvais exemple cubain pourrait faire tache d'huile. Alors avec des gouvernements comme ceux du Brésil et quelques autres qui ne sont pas entièrement sous la férule des States, l'Amérique du sud pourrait devenir le foyer de la rébellion à l'encontre du grand frère US. On comprend aisément que vu comme ça, il était urgent de mettre un frein à l'épidémie. A la limite, quelle importance a le Honduras sur l'échelle internationale, probablement peu, mais le vers étant dans la pomme il était bon d'arrêter l'hémorragie.
On ne peut donc que constater que la politique d'Obama est la suite de celle de Busch, la communication seule a changé, plus subtile à l'évidence, l'impérialime restant le même. C'est pourquoi il est intéressant de relire un passage du livre de Chomsky écrit en 1992, intitulé : « What Uncle Sam Really Wants » où ce grand observateur de notre monde démonte le mécanisme de l'impérialisme étasunien qui, si on observe la situation actuel, est dans la même continuité…
Par Noam Chomsky
Aucun pays n'est à l'abri d'une intervention des Etats-Unis, même le plus insignifiant. En fait, ce sont souvent les pays les plus faibles, les plus pauvres, qui provoquent la plus grande hystérie.
Prenez le cas du Laos dans les années 60, peut-être le pays le plus pauvre du monde. La plupart de ceux qui y vivaient ne savaient même pas qu'ils vivaient dans un pays appelé le Laos ; tout ce qu'ils savaient était qu'ils vivaient dans un village qui était situé non loin d'un autre petit village, etc. Mais dès qu'une révolution sociale très limitée a commencé à se développer là-bas, Washington a soumis le Laos à un « bombardement secret » meurtrier, détruisant de larges portions de zones habitées et qui, de leur propre aveu, n'avait rien à voir avec la guerre que les Etats-Unis menaient contre le Vietnam du Sud.
La population de la Grenade est de 100.000 et vous auriez du mal à touver cette île sur une carte. Mais lorsque la Grenade a connu une révolution sociale modérée, Washington est rapidement entré en action pour détruire la menace.
Depuis la Révolution bolchevique de 1917 jusqu'à la chute des gouvernements communistes en Europe de l'Est à la fin des années 80, chaque agression US était justifiée comme une défense contre la menace soviétique. Ainsi lorsque les Etats-Unis ont envahi la Grenade en 1983, le chef d'Etat Major a expliqué que, dans l'éventualité d'une attaque soviétique contre l'Europe occidentale, un régime hostile à la Grenade pouvait couper les approvisionnements de pétrole des Caraïbes à l'Europe de l'Ouest et que les Etats-Unis seraient dans l'impossibilité de porter secours à leurs malheureux alliés.
Cela peut paraître comique, mais de telles histoires peuvent mobiliser un soutien de l'opinion publique contre l'agression, le terrorisme et la subversion.
L'agression contre le Nicaragua était justifiée par le fait que si nous ne « les » arrêtions pas là-bas, « ils » traverseraient notre frontière à Harlington, Texas – à peine deux heures de route. (pour les publics plus éduqués, il y avait des arguments plus sophistiqués, mais tout aussi plausibles).
En ce qui concerne l'économie américaine, le Nicaragua pourrait disparaître et personne ne s'en rendrait compte. Même chose pour le Salvador. Pourtant ces deux pays ont été soumis à des attaques meurtrières de la part des Etats-Unis qui ont coûté des centaines de milliers de vies et des milliards de dollars de dégâts.
Il y a une raison à cela. Plus le pays est faible, plus son exemple est dangereux. Si un pays minuscule comme la Grenade pouvait améliorer les conditions de vie de sa population, d'autres pays, avec plus de ressources, pourraient se demander « pourquoi pas nous ? »
Ceci est vrai aussi pour l'Indochine, qui est relativement grande et possède quelques ressources. Eisenhower et ses conseillers s'étendaient sans cesse sur le riz, l'étain et le caoutchouc, mais leur véritable crainte était que le peuple indochinois retrouve l'indépendance et la justice et que celui de la Thaïlande les imite et, en cas de réussite, que la Malaisie suive leur exemple pour rapidement aboutir à l'indépendance totale de toute l'Indonésie et la perte pour les Etats-Unis d'une partie importante de la « Grande Zone ».
Lorsqu'on veut instaurer un système global qui soit soumis aux besoins des investisseurs américains, il faut s'assurer que tous les morceaux restent en place. Il est étonnant de constater à quel point cette idée est ouvertement formulée dans les documents officiels.
Prenons l'exemple du Chili sous Allende. Le Chili est un pays relativement grand, avec beaucoup de ressources naturelles, mais, là non plus, les Etats-Unis n'allaient pas s'effondrer si le Chili devenait indépendant. Pourquoi étions-nous si préoccupés par ce pays ? Selon Kissinger, le Chili était un « virus » qui pouvait « infecter » la région et dont les effets allaient se ressentir jusqu'en Italie.
Malgré 40 ans de subversion par la CIA, l'Italie avait encore un mouvement ouvrier. L'avènement d'un gouvernement social-démocrate au Chili aurait pu inspirer les électeurs italiens. Imaginez qu'ils se prennent à avoir des idées bizarres comme celle de reprendre le contrôle de leur propre pays et de refonder les mouvements détruits par la CIA dans les années 40 ?
Les stratèges américains, depuis le secrétaire d'Etat Dean Acheson à la fin des années 40 jusqu'à nos jours, ont toujours averti qu' « une pomme pourrie gâte le baril » [traduction littérale du proverbe – NDT]. Le danger était la pourriture – le développement social et économique – qui pouvait se transmettre.
Cette « théorie de la pomme pourrie » est présentée en public sous le nom de la théorie des dominos. Elle est destinée à faire peur à l'opinion publique et lui expliquer comment Ho Chi Minh pourrait monter dans canoë et pagayer jusqu'en Californie, ce genre de choses. Il se peut que quelques responsables américains croient à ces bêtises, c'est possible, mais pas les stratèges. Ces derniers comprennent parfaitement que la véritable menace est celle d'un « bon exemple ». Et il leur arrive parfois de l'énoncer clairement.
Lorsque les Etats-Unis planifiaient le renversement de la démocratie guatémaltèque en 1954, le Département d'Etat a déclaré officiellement que « le Guatemala représente un danger croissant pour la stabilité du Honduras et du Salvador. Sa réforme agraire est un puissant outil de propagande : son vaste programme social d'aide aux travailleurs et paysans dans une lutte victorieuse contre les classes aisées et les grandes entreprises étrangères exerce un fort attrait auprès des populations voisines en Amérique centrale, où les conditions sont similaires ».
En d'autres termes, les Etats-Unis veulent la « stabilité », c'est-à-dire la sécurité pour « les classes aisées et les grandes entreprises étrangères ». Si cet objectif peut être atteint par des mécanismes démocratiques, tout va bien. Sinon, la « menace contre la stabilité » que représente un bon exemple doit être détruite avant que le virus ne se répande. C'est pourquoi même le plus petit des pays peut représenter une menace et doit être écrasé.
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