Le Ragondin Furieux

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Morne 1er Mai

Morne 1er Mai


Pour des raisons de boutonnages intempestifs je ne pourrais assister au défilé du 1er mai. Mais en avais-je envie ? Les promenades roboratives organisées par les syndicats à épisodes programmés ont sérieusement émoussé ma croyance en leur efficacité, d'où un scepticisme que je ne suis pas le seul à partager. Dans le « Grand soir », Patrick Mignard, animé des mêmes sentiments, dépeint bien cet état d'âme et tente de comprendre où le ressort est cassé, laissons lui la plume…

 

Par Patrick MIGNARD

La tradition a la vie dure, et nous mène durement la vie. Il y aurait/a des « passages obligés » par lequel, en fonction de ses convictions et de ses engagements, l'on doit passer au risque de se « dédire », de « trahir » et de « culpabiliser ».

Il est toujours difficile de se dégager, libérer de la tradition, même quand celle-ci apparaît comme obsolète. Abandonner le tradition, c'est abandonner une partie de soi, de son histoire, de son engagement... et ça on le vit mal, de même que les autres vivent mal notre retrait et nous le font sentir. C'est même tellement douloureux chez certains, qu'ils préfèrent vivre dans le déni et refuser de voir la réalité......

Alors, soit on se défile subrepticement, sur la pointe des pieds, soit on assume publiquement au risque de se faire montrer du doigt.

UN PEU D'HISTOIRE

La création du 1er Mai est incontestablement une conquête politique et un moment important de la prise de « conscience de classe » de la classe ouvrière.

Tout cela se passait à une époque de montée « triomphante » du capitalisme, dans quelques pays qui allaient dominer l'économie mondiale durant un siècle. Dominant par la puissance de leur technologie, la possession des capitaux, le contrôle mondial des matières premières et des énergies, une force de travail abondante, un contexte politique et idéologique susceptible d'asservir « démocratiquement » - et par la violence si nécessaire (fascismes) - le plus grand nombre.

Cette classe ouvrière, déclarée « fossoyeuse du capitalisme » était indispensable aux grands patrons de l'industrie et de ce fait capable de leur faire lâcher de substantiels avantages.

La résultante des luttes entre le Capital et le Travail a été, historiquement une côte mal taillée dont on paie aujourd'hui les conséquences, ou plutôt les inconséquences : des avantages sociaux pour les uns, la conservation du système marchand pour les autres. Les « expériences soviétiques » ont toutes sombré dans la catastrophe avec retour au capitalisme.

Lorsque les cartes, au niveau des États ont été redistribuées (décolonisation), que le progrès technique a remplacé massivement l'homme par la machine, que les moyens de communication ont permis une explosion de la valorisation du capital (mondialisation), que le marché du travail est devenu mondial,... le Capital s'est adapté,... c'est même lui qui a façonné la mondialisation. La mondialisation c'est sa mondialisation. Le Travail, lui, est resté sur ses positions ambiguës - réformer plutôt que renverser - et sur ses formes de luttes.

Ainsi, cette « classe ouvrière des pays industriels qui devait anéantir le capitalisme » s'est retrouvée en position défensive, de faiblesse et même en liquidation dans ses bastions les plus puissants. L' « internationalisme prolétarien s'est volatilisé », les luttes sont devenues obsolètes devant un Capital qui peut les contourner, le refus de l'exploitation a été remplacé par la crainte de l'exclusion.

On ne se bat plus contre le patron, mais pour qu'il nous garde. On ne se bat plus « pour l'abolition du salariat » (article 2 des statuts de la CGT en 1906),... on en redemande.

Le chômage s'est envolé, les services publics sont liquidés, de même que, progressivement, les acquis sociaux. Le système des retraites estpeu à peu liquidé,... Seuls, les gardiens de musée de l'orthodoxie prolétarienne osent ânonner les vieux slogans qui sentent bon la naphtaline ! Nostalgie quand tu nous tiens !

Des manifestations, des pétitions, des occupations, des séquestrations, des lamentations,... il y en a tous les jours... Certains vont même jusqu'au suicide. Résultat : NEANT Rien n'y fait, le Capital sûr de lui continue à prospérer se payant même le luxe de faire payer ses erreurs à ses victimes.

QUE FETE-T-ON EXACTEMENT AUJOURD'HUI ?

A risque de passer pour hérétique, on est en droit de se poser la question.

Jamais un 1er mai n'a été révolutionnaire, point d'orgue ou point de départ de renversement du capitalisme. Tout s'est toujours joué au niveau du discours, des slogans et des symboles. Revendicatif oui. Révolutionnaire non.

Ceci est encore plus vrai aujourd'hui qu'hier.

Hier, manifester, c'était montrer sa force — qui était réelle — c'était arracher des concessions, des avantages au Capital. Aujourd'hui, manifester c'est protester sachant que l'on ne fait qu'accompagner la liquidation des acquis sociaux, des entreprises.

Hier manifester et faire grève c'était mettre le couteau sur la gorge du Capital. Aujourd'hui le Capital se fout royalement de nos mobilisations,... et le dit ouvertement. On manifeste et l'on fait grève pour que les licenciements soient le moins douloureux possibles.

Un 1er Mai sur fond de régression sociale, d'accroissement des inégalités, de liquidations d'un siècle d'acquis sociaux et... d'impuissance dans les luttes.

Hier on montrait sa force. Aujourd'hui on étale sa faiblesse.

C'est dur à admettre, mais il faut bien le reconnaître : nous sommes passés du 1er Mai triomphant au 1er Mai de la soumission et de la capitulation.

Le poids de la tradition, allié à l'hyper bureaucratisation des organisations ouvrières a fait du 1er Mai un véritable mythe intouchable... toute remise en question tenant du sacrilège.

Le 1er Mai fait parti d'un folklore désuet, qui ne correspond plus à la situation stratégique des salariés dans le système marchand.

Ce mythe est tenace,... et on y tient d'autant plus qu'il n'y a rien — ou pas grand-chose - à côté pour exprimer l'aggravation de la condition salariale. Le 1er Mai devient une sorte au messe ou toutes et tous communient, se donnant l'impression de l'unité, de la solidarité et... de l'efficacité. Un exutoire sans lendemain qui se base sur des formes de luttes aujourd'hui dépassées et un avenir politique et social incertain et plus que sombre.

Qui peut croire aujourd'hui, que dans les conditions d'existence du Capital, de son existence multiforme, de ses capacités d'adaptation et de nuisance, fondé sur un système politique démagogique et manipulateur, des démonstrations de rues peuvent le faire reculer ?

Le 1er mai devient le chant du cygne du mouvement social avant le « grand silence » de l'été.

Ne nous faisons aucune illusion... les gestionnaires du Capital, et leurs marionnettes politiques, se foutent complètement de nos mobilisations, sachant qu'elles ne débouchent sur rien. Ce 1er Mai, pas plus que ceux qui l'ont précédé ces dernières années ne changera quoi que ce soit à la situation qui va aller en empirant.

« Mais si on ne manifeste pas le 1er Mai, qu'est ce qui nous reste pour nous exprimer ? »

Excellente question à laquelle on peut répondre à deux niveaux.

1 - Le peuple a pour s' « exprimer » les élections dont il n'est plus à démontrer qu'elles ne servent à rien... Tout le monde n'en est pas encore convaincu mais, petit à petit, l'idée fait son chemin....

2 — S'il ne nous reste plus que le 1er Mai, et autres défilés folkloriques,... alors on peut légitimement en conclure que « les carottes sont cuites », et qu'aucun changement social et politique n'est possible.

Y a-t-il une autre alternative ?... certainement, mais encore faut-il ne pas rester le « nez dans le guidon » et suivre bêtement les organisations politiques et syndicales qui « /font leur beurre/ » de la situation dans laquelle nous sommes. Encore faut-il prendre des initiatives qui aillent dans le sens concret d'un changement...

Alors, le 1er Mai c'est vraiment la « lutte finale » ? On peut en douter.

1er Mai 2010

Patrick MIGNARD

URL de cet article, http://www.legrandsoir.info/Morne-1er-Mai.html

 



01/05/2010
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