Montravers. N’oublions pas le 25 août 1944
N’oublions pas le 25 août 1944
Au
mois d’août 1944, les Alliés avaient débarqué depuis quelque temps en Normandie
et leur progression les avait amenés à Paris. Les Allemands devant les avancées
des libérateurs se replièrent un peu partout dans le pays. Pour quelques très
jeunes Allemands recrutés peu de temps auparavant, le retour dans leurs
familles fut pour eux un soulagement. Mais tous ne raisonnèrent pas de la même
façon. Ceux qui avaient été formés en même temps que le nazisme eurent du mal à
accepter la situation. La défaite qui se profilait à l’horizon leur laissait un
goût amer.
Le 22 août au soir, le détachement allemand
commandé par le capitaine Oberman Blaut quitta Beauvoir-sur-Mer et prit la
direction du bocage. Aux premières heures du 25, juste après 5 heures du matin,
les estafettes qui précédaient la colonne allemande furent aux portes de
Montravers.
Exténués par ce long cheminement, ils avaient
fait halte au hameau de la Jacquelinière.
Les divers mouvements de résistance –
regroupés depuis peu, pour une partie d’entre eux, sous le nom de F. F. I. –
avaient installé une base d’appuis au village de la Crépelle proche de Cerizay ;
dont la mission principale était de retarder si possible le repli des troupes allemandes,
dans ce bocage accidenté propice à la guérilla ; mais aussi, de donner aux
Alliers des renseignements sur les mouvements de l’envahisseur.
Bien entourés par des cadres expérimentés,
ces maquisards étaient d’assez jeunes gens pour la plupart. Conscients qu’ils
allaient entrer dans l’Histoire en aidant à la libération de leur pays, leur
courage n’eut d’égal que leur audace. Devenus nombreux, sans cesse en
mouvement, jour après jour les rencontres et les escarmouches cherchées ou
fortuites se multiplièrent avec les Allemands. Ce qui exacerba chez ceux-ci une
tension déjà extrême, une fébrilité latente, une nervosité au bord de la
rupture.
Donc, ce matin là, à proximité de la
Jacquelinière, deux voitures de F. F. I. surgirent à grande vitesse venant de
la direction de Combrand et se heurtèrent inopinément au convoi allemand. Deux
maquisards sortirent alors d’un bond de l’un des véhicules et menacèrent d’une
mitraillette l’officier qui se tenait là. Puis, sans tirer un coup de feu, se
ravisant, remontèrent dans leur véhicule et repartirent en marche arrière,
poursuivis dans la foulée par des soldats qui ne purent les stopper.
Excédés d’être de moins en moins les maîtres du terrain, de suite, les
Allemands se dirigèrent vers la Tallerie en s’éparpillant dans les prés et les
champs des alentours ; attirés sans doute par le bruit de la locomotive de
la machine à battre ; installée en haut du village et que venait d’allumer
quelques temps auparavant le chauffeur, Maurice Guetté de Cerizay.
On peut être surpris de ces battages
tardifs. Cela vient du fait que le sous-sol granitique du bocage se réchauffe
lentement et retarde souvent la période des moissons. Mais surtout aussi pour
une raison matérielle étant donné que les « batteuses » étaient peu
nombreuses à cette époque. Il fallait donc en toute logique que chacun attendît
son tour. Ce qui repoussait pour les derniers à être servis, parfois tard dans
la saison, la date de ce travail qui concluait la production céréalière de
l’année.
En cette circonstance étaient réunies à la
Tallerie plusieurs familles, des voisins et des amis venus aider à cette
batterie. Traditionnellement cette journée de labeur harassant – au cœur d’un nuage de poussière blonde d’où
retentissaient les cris des travailleurs tentant de se faire entendre à travers
le vacarme de la motrice à vapeur – devait donc se terminer par un repas de
fête ; réjouissances qui récompensaient ainsi tous ces gens heureux de
voir enfin, palpable, mis en sac, ou stocké en vrac dans les greniers, le
résultat d’une récolte arrachée à une terre ingrate. Dont les bocains,
éleveurs réputés, en transformaient une partie en provende – substitut nutritionnel
toujours appréciée par du bétail dont l’herbage est un peu restreint durant la
période hivernale.
Malheureusement, la réalité fut toute
autre. Ce fut un jour de cauchemars engendrés par des individus ayant perdu le
sens du respect humain.
En récapitulant les faits plus précisément,
c’est un peu après sept heures et demie du matin que les événements se sont précipités.
Lorsque le feu de sa machine fut bien lancé,
Maurice Guetté alla prévenir les Billy, famille réunie en la circonstance dans
la maison d’Ely, de la présence d’un convoi allemand vers la Jacquelinière. Et
de manière à mieux observer la situation, sur les recommandations de la mère,
il était monté dans une chambre au premier étage accompagné de deux des filles,
du fils Jean-Claude et du voisin Hubert Soulard.
Par une fente laissée aux persiennes
refermées, ils avaient pu observer ainsi la scène de la rencontre entre maquisards
et Allemands. Lorsqu’ils redescendirent
de leur observatoire, les soldats se dirigeaient dèjà vers le hameau et
s’emparaient au hasard, sur leur passage, de l’otage Joseph Gautier qui ne vit
jamais le soleil se lever au matin du 26.
A partir de ces instants, vers huit heures
passé, Guetté décida de s’éclipser et recommanda aux femmes : « surtout,
restez dans votre maison, ce ne sont pas les femmes, mais les hommes qu’ils
vont emmener » (sic). Plus tard, il regretta d’ailleurs d’être parti,
puisque pour leur plus grand malheur elles lui emboîtèrent le pas.
A
peine eut-il traversé quelques haies, rattrapé au bout de quelques instants par
l’une des filles Billy, Madeleine, accompagnée de sa cousine Odile, qu’ils eurent
les Allemands sur les talons accompagnant leur progression de tirs nourris. A
ce moment là, Madelon – diminutif parfois utilisé par ses proches pour la distinguer
de sa génitrice qui se prénommait aussi Madeleine – entendit sa mère lancer des
appels inquiets, criés d’un champ de topinambours situé pas très loin ;
dans lequel celle-ci avait toujours dit qu’elle irait se réfugier en cas de
problème avec l’occupant.
Galvanisée par la voix de celle qui lui
avait donné le jour, elle retraversa la haie juste franchie et se dirigea vers
les cris. C’est quant elle fut arrivée à proximité de ses parents qu’elle fut
fauchée par un coup de feu qui la blessa mortellement à la hanche. Son père Elie
et sa mère Madeleine en voulant la rejoindre pour lui porter secours furent
alors rattrapés par les Allemands, dont un tira un coup de fusil qui arrêta net
la progression de la mère.
Un
trou dans la poitrine, le bras en lambeaux, elle tomba morte sur le coup, en
entraînant dans sa chute sa plus jeune fille Danielle qu’elle portait au cou. Cette
gamine de six ans, écrasée par le poids maternelle, de plus touchée au genou
par une balle ayant frappée sa mère et couverte de son sang, ne pouvait plus
bouger. Le père à plat ventre, menacé lui aussi, était impuissant.
Odile avait suivit Madeleine et s’était
couchée près d’elle lorsque les coups de feu mortels furent tirés, elle allait
se relever d’à côté du corps de sa cousine agonisante quand les soldats
foncèrent sur elle, un coup de crosse brutal sur la tête l’étendit de nouveau.
Elie, allongé à quelques pas de cette scène, n’eut pas d’autre alternative que
de se dresser et lever les bras en l’air pour ne pas subir le même sort. Il fut
pris aussitôt comme otage.
Le massacre de la famille Billy eut pu être
encore plus sanglant, si Colette, une autre des filles, n’était pas partie la
dernière de l’habitation familiale et n’avait pas pris la précaution de sortir
par derrière, après avoir fermé précautionneusement la porte et la fenêtre. Retardée,
elle contournait la maison lorsqu’elle entendit la fusillade.
En un premier temps, elle prit la direction
de l’endroit où se déroulait le drame. Mais l’effroi qui la saisit en cet
instant coupa net ses injonctions : « Ne tirez pas ! Ne tirez
pas ! ». Et la fit partir au pas de course chez des voisins. Où elle leur
cria, sitôt arrivée, que les Allemands étaient en train de massacrer sa
famille. Puis au bout d’un moment quant elle eut repris plus ou moins ses
esprits, la fusillade ayant cessé, folle d’inquiétude elle reprit la direction
du champ de « topines », lieu de la tuerie.
Sur place, Colette ne put, la prenant dans
ses bras, qu’assister aux derniers instants de sa sœur Madeleine. Ensuite, son
père ayant déjà été emmené par les soldats, elle fut secondée pour dégager la
petite Danielle, gémissante, de dessous le corps de la mère par Louis Babin
attiré par les appels au secours.
C’est d’ailleurs tout à fait par hasard que
Babin se trouvait là. Car lorsqu’il menait ses vaches au champ, il avait été
surpris d’apercevoir un convoi allemand vers lequel se dirigeaient deux
voitures de F. F. I.. Un moment après, éclata une fusillade. Pensant qu’il
s’agissait d’un accrochage entre les gens du maquis et l’occupant, de peur que
les choses tournassent mal ou qu’une balle perdue l’atteignît, il abandonna ses
animaux et alla se réfugier dans le grenier de sa maison en compagnie de sa
femme. Le temps lui avait paru sans doute long puisqu’il dût attendre une
accalmie bien établie pour aller voir ce qu’il était advenu de son troupeau. C’est
donc à l’instant où il pénétrait de nouveau dans le pré où paissaient ses bêtes
qu’il avait été alerté par les cris.
Aidés par ceux accourus aussi à la rescousse,
ils emmenèrent Danielle et Colette au hameau, et l’on alla quérir une carriole
pour les transporter à l’hôpital de Chatillon-sur-Sèvre – devenue depuis
Mauléon à la suite d’un regroupement de communes.
De fait, Colette avait reçu plusieurs
balles, elle resta donc hospitalisée quatre mois. Malheureusement, sa cousine
allongée sur le lit voisin ne se remit jamais de sa blessure à la tète, et
décéda un an après.
Déjà l’indicible nous fait frémir, et
pourtant cette journée n’était pas terminée ! Ce n’était que le début de
la matinée et le bilan était déjà lourd. D’autant que les soldats ne s’étaient
pas arrêtés aussitôt leurs premières exactions, puisqu’ils prirent d’autres
otages à la Tallerie parmi ceux qui étaient réunis là pour la batterie. Puis,
ils se dirigèrent sur Montravers, en poursuivant çà et là à travers champs
quelques habitants éperdus. A l’entrée du bourg, onze captifs étaient poussés
sans ménagement par une troupe surexcitée. Comme rien n’arrête parfois la folie
humaine, la razzia leur parue donc insuffisante.
Dans la forge, il y avait Théodore Bobin, son
frère Charles, Charles le fils de
celui-ci et son cousin André Péaud.
Destinée paradoxale pour Péaud qui était
venu se réfugier dans le calme du bocage après avoir fuit Paris en juillet 1940.
Pour tout dire, il supportait mal le joug allemand. Mais ce qu’il il ignorait à
cette époque, persuadé d’avoir trouvé un refuge quiet, c’est qu’il allait être
l’une des victimes de l’occupant quatre ans plus tard.
Sans qu’ils puissent trouver une
échappatoire quelconque, tous les quatre allèrent grossir le nombre des otages.
Ils étaient quinze quand ils furent
enfermés dans le poulailler du château de la Louisière. Au grand dam de son
propriétaire Joseph de Beauregard, maire de Montravers, qui dèjà avait vu un
peu plus tôt les Allemands envahir sa demeure. Puisque, effectivement, à leur
arrivée les soldats s’étaient installés aux alentours immédiats du château.
Ensuite, à peine avaient-ils investi les
lieux, avec peu de civilité le Capitaine Oberman Blaut réquisitionna une pièce
afin d’y installer son bureau. Et, convaincu par l’incident de la Jacquelinière
de la présence d’un maquis important dans les environs, donc une menace
permanente pour son unité, il déclara cette prise d’otages dans la population
comme garantie à sa sécurité et celle de ses soldats.
Commença alors un dialogue de sourds entre
le maire et l’officier. L’un expliqua que ses concitoyens n’avaient rien à voir
avec la Résistance et qu’il était injuste de les garder prisonniers. L’autre ne
voulant rien entendre, refusa. Cependant, vers treize heures, devant
l’insistance du maire, il finit par concéder à leur libération et de la situer
au moment de son départ. A dix-neuf heures, déclara-t-il. Et, péremptoire, précisa
la condition suivante : « si aucun incident ne venait perturber la
durée de leur halte ».
Toutefois, un sursaut d’humanité lui fit
libérer Elie Billy, et autorisa le maire à l’accompagner auprès des corps de sa
femme et de sa fille. Mais il intima l’ordre de revenir au plus tôt à Joseph de
Beauregard en arguant de ses prérogatives d’édile, et de façon superflue lui
demanda sa parole et surtout de s’y tenir.
S’il eut été vraiment un homme d’honneur,
il n’aurait probablement jamais fait cette demande. Car, à l’évidence, le maire
n’allait pas laisser planer une expectative morbide à propos de l’avenir des
otages, sans qu’il use jusqu’à son dernier argument pour les soustraire à une
mort probable.
Certes il était de son devoir officiel de
défendre ses administrés. Mais tout faire pour sauver la vie de son prochain,
quel qu’il soit, est un geste avant tout humanitaire. Qui, comme à beaucoup
d’autres dans ce cas là, au Maire ne posait aucun problème, ni aucune
restriction tellement cela lui semblait naturel.
Auprès des dépouilles des deux femmes, de
Beauregard tenta par des mots simples
d’aider Elie à supporter sa peine. Puis, sans trop s’attarder, fidèle à sa
promesse, il dut repartir vers sa demeure.
Cependant, avant de regagner la Louisière,
son intention était de passer par la cure afin de mettre l’abbé Journeau au
courant des derniers événements. Mais à peine arrivait-il au village, subitement, à proximité de lui, des
coups de feu nombreux le surprirent et l’inquiétèrent fortement. Néanmoins il
parvint à l’église où il informa le curé de la situation ; et au vu de
l’évolution des choses il présagea, lucide, un avenir sombre.
Accablés, impuissants devant ce déchaînement
de violence, ces deux personnalités de
la commune envisageaient dèjà le pire, quand, tout à coup, les soldats
pénétrèrent dans l’église et s’emparèrent d’eux. De suite, sans ménagement ils les
conduisirent au château ; où ils furent plaqués à un portail en bois,
menacés durant une heure un quart par des armes automatiques.
Que s’était-il donc passé, qui, en si peu de
temps, avait envenimé une situation déjà tendue ?
Les circonstances du nouvel incident
ressemblaient un peu à la première rencontre de la Jacquelinière. Seulement,
cette fois il y eut des échanges de tirs violents et meurtriers.
Ainsi qu’au matin, en début d’après-midi deux
voitures de F. F. I., avec à leurs bords neuf hommes transportant des armes et
des munitions et dont la destination était la forêt de Vouvant, se heurtèrent
aux Allemands de garde à l’entrée de Montravers. Ils voulurent alors éviter
l’affrontement. Mais comme le chauffeur de la première voiture connaissait mal
les lieux, il s’engagea dans l’allée du château. A l’évidence, par mégarde, ils
s’étaient jetés dans la gueule du loup. Se rendant compte de leur méprise, ils
firent aussitôt feu sur les troupes rassemblées autour de la demeure du maire, dans
l’espoir de se dégager de ce piège. C’était trop tard, dans l’impossibilité d’avancer
ou de reculer, la seule alternative possible était d’abandonner les véhicules
et de fuir à travers champs. Ce qu’ils firent sans demander leur reste, tout en
continuant de tirer pour couvrir leur retraite. Sur le coup, les Allemands
surpris de cette attaque subite avaient riposté à retardement. Mais très vite,
revenus de leur surprise, alors que les maquisards fuyaient à toutes jambes à
travers les cultures, ils arrosèrent copieusement de leurs armes automatiques
la campagne environnante.
Au cours de cet accrochage qui avait duré à
peu près une demi-heure, un soldat allemand fut tué et deux autres furent
blessés. Chez les maquisards, André Schmidt, blessé, ne put suivre ses
camarades ; rattrapé, il fut achevé sauvagement.
Dans cette journée de tension extrême où
tout pouvait basculer d’un instant à l’autre, l’irréparable venait de se
produire. Et les conséquences n’allaient pas tarder à se manifester.
D’abord,
Blaut fit installer deux canons de 77 pointés en direction du bourg, dans la
ferme intention de le raser. Puis il se livra à un interrogatoire sévère, tour
à tour, du maire et du curé. Ce qui ne lui apprit rien. Ces deux personnalités morale
et civile l’assurant que la population n’y était pour rien dans cette
échauffourée ; d’autant plus qu’à leur connaissance il n’y avait pas de
résistants dans la commune et aux environs.
Ces assertions convainquirent, semble-t-il,
en partie le capitaine. Peut-être, aussi, lui était-il difficile moralement de
mettre en doute la parole de l’abbé Journeau. Il ne fit donc pas usage des
canons.
Par contre, il fit appeler de nouveau
Joseph de Beauregard, et sans autre forme de procès lui annonça que les quatre
plus âgés des otages seraient fusillés sous prétexte qu’il y avait eu mort
d’homme dans ses rangs. Malgré tout, voulant encore y croire, le maire usa de
tous les arguments possibles et inimaginables pour le faire changer d’avis.
Peine perdue, la décision du capitaine fut irrévocable et sans pitié. A tel
point qu’il donna une seule minute par condamné à l’abbé, pour recueillir leurs
dernières paroles.
Le 25 août 1944, à la tombée de la nuit dans le cimetière de Montravers, le dos tourné à leurs bourreaux furent assassinés : Joseph Vion, Théodore Bobin, Charles Bobin père, Joseph Gautier.
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