Le Ragondin Furieux

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Le sens des mots IV….

Le sens des mots IV….

Suite aux élections européennes, Sarkozy qui fait feu de tout bois va de nouveau sortir le pot de peinture verte, agiter le spectre d’un Grenelle fantoche et surtout nous parler de l’incontournable développement durable qu’il a baptisé pompeusement : croissance verte, encore du ronflant pour pas grand-chose. Si, les seules bénéficiaires seront les capitalistes qui voient dans cette mode une multitude de marchés s’ouvrir, une affaire juteuse en quelque sorte. J’ai volontairement parlé de mode et non de prise de conscience car je pense que le vrai problème est le productivisme au service du maximum de profit résultant de, l’avidité toujours plus grande des actionnaires. Pour que tout cela ne soit pas une mascarade, il faut donc s’attaquer à la racine ce dont on est loin avec Cohn Bendit et autre Yann Arthus Bertrant considérés par beaucoup comme des écotartuffes.

Comme j’ai démonté en plusieurs occasions le développement durable j’ai pensé qu’un chercheur neutre, avec un regard plus sociétal, disons une l’analyse de quelqu’un moins impliqué que par exemple Paul Ariés ou Vincent Chéney, voire Serge Latouche, donnerait une autre approche de la question. C’est donc un sociologue de la revue Sciences Humaines, Edwin Zaccaï, qui à travers un petit historique, nous apportera quelques éclaircissements qui je dois l’avouer m’ont conforté dans mon appréciation de cette arnaque…

Développement durable : l'idéologie du XXIe siècle

Edwin Zaccaï

L’environnement est maintenant au centre des préoccupations politiques. De l’écologie profonde au mouvement de la décroissance, en passant par les promoteurs du développement durable, nombreux sont ceux qui souhaitent rompre avec les modes de consommation actuels.
« Une raison pour laquelle l’environnement a tant changé au XXe siècle est que – d’un point de vue écologique – les idées et politiques dominantes ont très peu changé », écrit John R. Mc Neill dans sa synthèse sur l’histoire environnementale (1). La primauté accordée à la croissance, la confiance dans les progrès techniques ou encore l’importance de la consommation ont eu des conséquences majeures sur l’environnement. À l’inverse, les effets réels de l’environnementalisme, qui se diffusera de plus en plus à partir des années 1960, resteront mineurs. L’écart entre l’impact des activités humaines sur l’environnement et les objectifs annoncés pour sa protection irriguera profondément l’environnementalisme. Il deviendra tour à tour dénonciateur, prophétique, moral, mais aussi pratique, mobilisateur ou politique.

Il est évident que de nombreux groupes humains ont par le passé modifié leur milieu, parfois à leur détriment. Depuis les Aborigènes d’Australie pratiquant un brûlis lourd de conséquences sur la faune et la flore, jusqu’à l’érosion massive de sols générant le Dust Bowl, ces tempêtes de poussière qui touchèrent pendant près d’une dizaine d’années la région des grandes plaines des États-Unis durant les années 1930, en passant par la déforestation des régions méditerranéennes dans l’Antiquité, la liste est longue et recouvre toutes les époques. Toutefois, l’impact de l’activité humaine sur l’environnement au XXe siècle reste sans précédent. Cette ampleur inédite est majoritairement due à deux facteurs : les capacités techniques et énergétiques (la consommation d’énergie a été multipliée par plus de 12 au XXe siècle) et l’augmentation de la population (multipliée par quatre durant la même période). De plus, le début de l’âge atomique augmente les préoccupations envers le pouvoir destructeur des techniques, tandis que la croissance démographique nourrit des raisonnements néomalthusiens.

Ces craintes latentes vont interagir avec les différents courants de l’écologie scientifique qui se sont élaborés à partir du milieu du XIXe siècle. Le mot œkologie, science des relations de l’organisme avec son environnement, est ainsi forgé dès 1866 par le biologiste Ernst Haeckel. Dans les décennies qui suivent, un certain nombre de scientifiques, que l’on nommera aussi écologues, élaboreront ce champ (2).

À la même époque, des aires protégées en vue de la conservation de la nature sont créées. Dans les pays colonisés, et singulièrement en Afrique, les milieux de chasseurs ainsi que l’agronomie tropicale influenceront durablement la vision de l’environnement et de sa protection. En Europe et aux États-Unis se constituent des sociétés de naturalistes, d’observation des oiseaux ou de pêcheurs, qui seront des noyaux actifs de l’environnementalisme. Un précurseur de l’éthique environnementale aux États-Unis, Aldo Leopold, perçoit dès la fin des années 1940 les potentialités que recèle le goût croissant d’une population de plus en plus urbaine et au pouvoir d’achat en augmentation pour des loisirs orientés vers la nature. Le sociologue américain Ronald Inglehart émettra quant à lui une théorie encore discutée aujourd’hui sur la montée de valeurs « immatérielles » dans les sociétés postindustrielles : les individus se tourneraient vers des biens dépassant la première nécessité et vers des valeurs nouvelles comme la protection de l’environnement. Mettant en lumière les impacts importants de l’usage des pesticides et appelant à de nouvelles régulations des techniques qui respectent les écosystèmes, la biologiste Rachel Carson publie en 1962 Printemps silencieux, livre à grand succès qui lancera l’environnementalisme aux États-Unis.
 
L’effet Mai 68

En France, on considère que c’est Mai 68 qui catalyse la naissance de l’écologie politique. La rencontre des pratiques de mobilisation gauchiste et des préoccupations de protection de la nature ainsi que l’émergence d’une critique du progrès technologique en ont préparé le terrain. Un slogan comme « Sous les pavés la plage » peut en effet résonner en congruence avec ces différents courants. Une première manifestation en vélo organisée en 1972 à Paris par les Amis de la Terre réunit 10 000 participants. De même, l’opposition au nucléaire mobilise au-delà des clivages politiques traditionnels grâce à un discours transversal, typique de l’environnementalisme, qui prône une mobilisation de tous, toutes classes sociales confondues. Intégré à l’écologie politique, le combat antinucléaire se présentera comme une force alternative aux rapports de force droite-gauche, même si inévitablement un positionnement peut être repéré.

Certains aspects de la protection de la nature peuvent, par exemple, renvoyer à un passéisme conservateur ou à un localisme de tendance antimoderniste, courants idéologiques situés à droite de l’échiquier politique. On repère d’ailleurs dès l’avant-guerre des objectifs de restauration de milieux traditionnels prônés par des mouvements fascistes européens et japonais. Toutefois à partir des années 1970, malgré le positionnement « ni-ni » (ni à gauche ni à droite) d’un Antoine Waechter en France, les partis verts se retrouveront à gauche du spectre politique dans une majorité de pays du monde.

En France, premier candidat à se présenter comme écologiste à l’élection présidentielle, René Dumont obtient 1,32 % des suffrages exprimés en 1974. Mais la candidature de cet agronome engagé envers le tiers-monde contribue surtout à faire exister un mixte d’idées prenant rapidement corps à cette époque. Cet écologisme est loin de se limiter à une critique de la dégradation de la nature (3). Il s’inspire de penseurs comme Ivan Illich, qui met en cause radicalement certains aspects de la modernité tels que des technologies peu conviviales et des institutions aliénantes. Ou encore d’André Gorz, cofondateur du Nouvel Observateur, qui appelle dès les années 1970 à revoir le productivisme, qu’il soit de gauche ou de droite, au profit d’une limitation drastique du temps de travail. Des valeurs d’authenticité, de développement personnel, de critique de la consommation et de l’État font aussi partie de cette mouvance.

Une constante du discours environnementaliste depuis ses origines est l’appel à une révolution dans les relations entre l’homme et la nature. Aujourd’hui, la prise de conscience des menaces climatiques et de leurs effets potentiellement néfastes sur l’économie peut faire écho au rapport fondateur publié par le Club de Rome en 1972, Halte à la croissance ? (4). Celui-ci prédisait que la poursuite de la croissance déboucherait inévitablement sur des effondrements mondiaux dans le courant du xxie siècle, du fait des limites des ressources naturelles et de l’impact des pollutions. Pourtant, en dépit de ces discours, la dégradation de l’environnement mondial se poursuit, voire s’accélère, interrogeant les capacités à mettre en place des stratégies de changements significatifs. Et ce malgré de réels progrès dans les régulations environnementales depuis les premiers ministères de l’Environnement – que Robert Poujade, ministre français de l’Environnement, dénomme en 1971 « ministère de l’impossible ».
 
Récupération capitaliste

Un article fondateur de Arne Naess distingue un écologisme profond d’un écologisme superficiel (5). Alors que le premier repose sur des principes d’imitation de la nature et dénie à l’homme le droit de se placer au centre de la biosphère, le second se contente de limiter les impacts écologiques des modes de développement actuels. C’est dans cette deuxième optique que s’amorce une « récupération » de l’environnementalisme par le capitalisme, comparable à celle des mouvements contestataires de la fin des années 1960. L’idée d’une convergence possible entre la protection de l’environnement et le développement économique plus « vert » apparaîtra dans les années 1980. Elle sera inlassablement répétée et prolongée ensuite par le discours de la « modernisation écologique ».

Durabilité des systèmes naturels comme condition de la durabilité des sociétés et de leur prospérité économique ; protection de l’environnement comme condition d’une protection de la santé et d’une prévention, puis d’une précaution contre différents types de risques ; technologies vertes plus économes en matière et en énergie ; produits verts innovants, prisés par certains consommateurs et garants de nouveaux marchés et de nouveaux emplois, en sont des exemples répandus.

À partir des années 1990, la formule du développement durable (de l’anglais sustainable development) devient incontournable. Popularisée grâce à l’Onu, via le rapport Brundtland (1987), puis la conférence de Rio (1992), elle offre un point de ralliement tant aux environnementalistes qu’aux « développeurs » de tous horizons, qu’ils soient industriels, étatiques ou urbains. La mondialisation économique, l’industrialisation et l’augmentation de la consommation des grands pays en développement, associés à la poursuite de la croissance dans les pays occidentaux accentuent les impacts sur l’environnement. Ceux-ci deviennent de plus en plus coûteux pour le monde naturel et les sociétés humaines. Ce contexte mondial constitue la toile de fond du développement durable au tournant du nouveau siècle, de même que le souci du long terme symbolisé par la nécessité de prendre en compte les besoins des générations futures dans les décisions actuelles. L’approche locale, voire individuelle, du respect de l’environnement par des actes concrets est dans le même temps encouragée, en particulier pour ce qui concerne la consommation (6).
 
Un discours superficiel ?

En définitive, le développement durable réinterprète quantité de thèmes présents dans l’environnementalisme : la mobilisation de tous, l’appel à de nouvelles valeurs, la recherche de convergence entre objectifs sociaux et environnementaux, ou plus prosaïquement la protection du cadre de vie. Mais il prend à son compte du même coup le hiatus entre rhétorique du changement et modestie des objectifs atteints. Devenu largement consensuel, il peut prêter le flanc à une dénonciation envers une relative superficialité, voire un discours légitimant la poursuite d’activités dont les effets néfastes sur l’environnement resteraient en pratique peu modifiés.

En outre, les difficultés du développement à l’échelle mondiale, illustrées par la croissance considérable des inégalités de richesse, la stagnation des conditions de vie des populations très pauvres, ou encore les instabilités économiques dangereuses, interrogent la pertinence des modalités du développement actuel, voire son projet même. Si, pour certains, le développement durable, fidèle à l’origine onusienne, reste porteur de réformes importantes pour mieux satisfaire en priorité les besoins humains, pour d’autres, il facilite la perpétuation de tendances insoutenables politiquement, moralement et environnementalement. En France, le mouvement pour la décroissance se distancie du développement durable et renoue avec les tendances d’un écologisme plus ancien, affirmant des valeurs de rupture avec la consommation et prônant des expériences locales.

Le souci de la protection de l’environnement est aujourd’hui largement présent dans les esprits, et pas seulement dans les pays riches. Des études montrent que les populations démunies sont les premières perdantes des graves dégradations de l’environnement et que la protection de leur milieu est primordiale. Qu’elle se nomme environnementalisme, développement durable, ou autrement, la recherche de modes de vie respectant bien davantage les écosystèmes devrait progresser encore, en particulier en développant des voies politiques d’institutionnalisation beaucoup plus efficaces qu’elles le sont aujourd’hui.
 
NOTES :
(1) J.R. Mc Neill, Something New under the Sun. An environmental history of the 20th century, Norton & Co, 2000.
(2) J.-P. Deléage, Une histoire de l’écologie, La Découverte, 1991.
(3) D. Simonnet, L’Écologisme, Puf, coll. « Que sais-je ? », 1979.
(4) D. Meadows et al., Halte à la croissance ?, rapport au Club de Rome, Fayard, 1972.
(5) A. Naess, « The shallow and the deep, long-range ecology movements : A summary », Inquiry, n° 16, 1973.
(6) E. Zaccaï et I. Haynes, « La société de consommation face aux défis écologiques », Problèmes politiques et sociaux, n° 954, La Documentation française, 2008.
 



10/06/2009
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