Le Ragondin Furieux

Le Ragondin Furieux

Le RSA, ou la précarité exploitée !

Le RSA, ou la précarité exploitée !

 


Le chômage qui est volontairement entretenu par les capitalistes pour servir d'alibi à une non-augmentation des salaires conduit au bout d'un certain temps à la précarité. Précarité aussi savamment maitrisée dans les sociétés développées par des sortes d'aides ressemblant à de la charité. Mais le plus fort est à venir avec le RSA, que j'avais qualifié de fausse bonne idée dans un article précédant, et qui va conduire à la précarisation de l'emploi. Les précaires seront toujours précaires mais cette fois en plus en étant exploités. C'est Gérard Sens, qui à gardé le sien de bon sens et qui nous explique le non-sens de cette situation.

 

La production idéologique de la pauvreté méritée
 
 

La représentation libérale des classes populaires comme classes dangereuses conduit aujourd'hui à la production de formes inédites d'obsession sécuritaire. La représentation libérale des classes populaires comme classes inaptes, congénitalement paresseuses et potentiellement immorales conduit aujourd'hui... au RSA.

 

La contre-révolution ultra-libérale a repris dans les années 70 la vieille distinction des physiocrates du XVIIIème siècle entre la pauvreté méritante et la pauvreté méritée. Celle-ci, nuisible et sans aveu, devait être proscrite par tous les moyens. On a vu surgir, en guise de caution scientifique, en sociologie (Raymond Boudon) comme en économie (dite néo-classique), les fameuses théories de l'individu rationnel. Celui-ci, ayant toute latitude d' "arbitrer" entre le "loisir" et la "consommation", serait constamment en train de calculer le rapport coût/avantage entre le travail et le non-travail, son penchant naturel pour l'oisiveté lui faisant évidemment préférer le second. Le RSA est fondé sur ce genre de sordides spéculations.

 

Mais c'est la volonté "humaniste" du bon M. Hirsch que l'on nous a vendue. Même à gauche, on n'a pas été avare de niaiseries compatissantes : "bouffée d'oxygène", "la tête hors de l'eau", "donner plus à ceux qui ont moins", "ne pas bouder quelques euros", "c'est mieux que rien"... Un gros tas de balivernes compassionnelles qui sont autant d'insultes à la dignité des pauvres. Ainsi que le souligne Robert Castel, le RSA se fonde sur le travail comme "impératif catégorique" en dehors duquel on ne peut être que soit un "misérable assisté", soit un "chômeur volontaire"... mais toujours un fainéant ! Comme on le sait, le RSA, en fait, pérennise l'assistance tout en maintenant l'intimation à la responsabilité et à l'autonomie, cela constitue ce qu'on appelle une injonction paradoxale, autrement nommée, en plus chic, double-bind (double contrainte), le but inavoué étant de provoquer malaise, culpabilité, angoisse chez le sans -travail.

 

La réalité du RSA, c'est la création d'un nouveau statut, celui de travailleur précaire assisté. Cela constitue évidemment une régression supplémentaire par rapport au statut normal de l'emploi qui suppose un salaire convenable permanent pour vivre dignement. Mais, pour le patronat, le "coût du travail" est toujours trop élevé et il en réclamera indéfiniment la baisse jusqu'à ce qu'un jour, qui sait, il ne lui soit plus du tout imputé ! L'incitation financière, supposée stimulante, conformément au modèle de l'individu rationnel, va conduire beaucoup, tout le monde le sait, y compris M. Hirsch, à prendre n'importe quoi, avec la multiplication des petits boulots en CDD, à temps partiel et à bas salaires. L'effet d'aubaine pour le patronat est évident, il va disposer de travailleurs en solde, pour des salaires misérables, avec des temps partiels subventionnés, d'autant plus que rien n'est prévu, rappelle Robert Castel, pour contraindre et contrôler les employeurs. Il s'agit d'un dispositif de classe amené à se généraliser car, comme le remarque l'APEIS, les chômeurs sont les premières victimes sur lesquelles sont expérimentés les niveaux de résistance et d'acceptation de l'inacceptable. Le RSA prélude à la mise en place d'un vaste programme de renforcement de la flexibilité exigé par le patronat : CDD, intérim, temps partiel, travail temporaire, contrat de mission... Ce qui fait, ainsi que l'indique Serge Paugam, que l'on essaye de faire passer pour de la solidarité ce qui n'est qu'une variable d'ajustement économique.

 

Cela fait presque trois siècles que le discours libéral construit la représentation négative et dépréciée des classes dominées comme ignorantes mais dangereuses, imprévoyantes mais insatiables, portées à la paresse et irresponsables. Leur misère est donc méritée et seule la nécessité peut les conduire à sortir de leur apathie naturelle et avoir un minimum d'activité pour survivre. Toute aide aux pauvres est non seulement inutile mais dommageable car la misère, selon Ricardo, est nécessaire au bon fonctionnement de l'économie. Le mépris et la peur des classes populaires ont ainsi constamment fondé toutes les pratiques politiques et sociales de la bourgeoisie. Les luttes sociales ont pu, par moment, surmonter les effets de la violence symbolique par quoi les dominants font adhérer les dominés aux principes de la domination, mais cette violence peut prendre au fil du temps et des nécessités des formes diverses : le RSA en est une !

 

Gérard Sens

 



14/07/2009
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