Le Ragondin Furieux

Le Ragondin Furieux

La p’tite tête…

La p'tite tête…

 

C'est à l'ile Yeu en dégustant des « patagos* » que l'un de mes marins d'occasion, remis de plusieurs heures de mer néfastes à son estomac, me conta cette histoire. Pour tout dire, il y a quelques temps déjà. Pourtant elle est restée gravée en ma mémoire, non pas par sa chute qui se veut humoristique mais parce qu'elle dépeint des phases de nos existences qui mériteraient souvent plus d'attention de notre part. C'aurait pu être une histoire vraie, cela n'est pas….

 

Il ne faut pas chercher bien loin, c'est dans la ZUP de Niort où ces événements attachés à une tranche de vie vont avoir lieu. Cette ZUP n'est pas tout à fait comme celle perdue à la Source près d'Orléans, où une cité désespérée dresse ses barres d'immeubles en pleine campagne, là où autrefois poussait une forêt. Elle est plus petite, aux abords immédiats de la vieille ville et n'a la prétention que de collectifs de peu d'étages, toutefois elle est habitée par la même catégorie de gens. Empilage d'Habitations à Loyers Modérés qui ont pour vocations d'héberger les familles aux revenus modestes.

    

L'époque où Zola dépeignait l'extrême misère des classes sociales les plus défavorisées s'estompe peu à peu après les durs combats menés par le monde du travail pour desserrer le joug de l'exploiteur, néanmoins ce n'est pas encore la panacée et par les temps qui courent il ne faudrait pas grand-chose pour voir un retour à la période où il écrivit Germinal…

     

C'est donc parmi les entassés de cette sorte de ghetto des temps modernes regroupant des travailleurs exploités et des chômeurs que nous retrouvons une famille comme les autres, pas plus pauvre, pas plus riche que l'ensemble de ceux habitant la cité.

 

Lui est maçon. Tout de suite les préjugés vont bon train car notre homme étant d'origine portugaise, le quidam vulgaire a décrété sans autre forme de procès que cela était normal puisque les gens de ce beau pays ont ça dans leurs gênes. Le « vulgarus pécus » (le péquin ordinaire) qui n'y voit pas plus loin que le bout de son nez a fait de ce cas particulier une généralité, les hommes de ce pays sont obligatoirement maçons, plâtriers ou carreleurs, les femmes chantent le fado.

 

Effectivement, si beaucoup ont embrassé ces professions en arrivant sur notre territoire c'est que pour la plupart ils n'avaient pas de qualifications biens définies, habitués chez eux à construire leurs maisons, il se sont dirigés par la force des choses vers les emplois où ils ne seraient pas complètement ignares. Le marché du bâtiment pendant une certaine période étant en plein boom, les patrons se sont jetés sur cette main-d'œuvre disponible et pas très regardante sur les salaires, c'était déjà plus que chez eux, et de par le fait on a catalogué définitivement le portugais dans la catégorie : maçon !

 

Elle est employée de maison. Du moins, employée à la maison car élever huit enfants est un véritable travail qui malheureusement n'est pas rétribué ni reconnu à sa juste valeur. Aux premiers bambins c'est tout beau tout nouveau et, en se débrouillant bien, la mère peut encore avoir un emploi parallèle. Mais au fur et à mesure que le nombre d'enfants croit il est évident que la présence de la mère ou du père de façon continue est indispensable. Cependant, pour celui qui perd son emploi, c'est la théorie inverse de celle de l'agité de l'Elysée, c'est travailler plus pour gagner moins, principe qui d'ailleurs a tendance à se généraliser. Vous me direz alors pourquoi tant d'enfants ?  Contrairement à ce que l'on peut croire, tout le monde n'est pas maitre de son destin à l'image des formatés qui conçoivent ce qu'ils appellent des plans de carrières. Laissons là ces obsédés de l'uniformisation de l'imprévisible pour nous intéresser à des gens normaux dont la vie est parfois menée par des hasards, et aussi par des concepts culturels autre que ceux bassement matériels à la recherche du profit.

 

On sait ce que c'est, notre maçon n'est pas un saint, et comme tout un chacun il lui arrive de faire des écarts sur le chemin de la bonne conduite. Ca ne lui arrive pas souvent, mais il suffit d'un soir lors d'un impromptu où l'un de ses copains de boulot arrose une fête quelconque et voilà notre homme qui, en un moment de faiblesse, abuse de la dive bouteille. Heureusement il n'est pas comme ces alcooliques dangereux qui deviennent agressifs et battent leurs femmes, lui ça l'émoustille, et il devient câlin. Alors, sitôt arrivé à la maison, la braguette à peine ouverte Madame est enceinte. Cela peut paraître brutal, mais surtout il ne s'est pas retenu, le drame. Vous me direz, et la contraception ? Interdit ! De par leur origine, très englués dans les traditions ils suivent donc à la lettre les prédications rétrogrades de monsieur tout blanc, cet inutile, cet inconscient, cet arriéré qui prêche encore l'abstinence au XXIème siècle, et comme dame nature commande, et pas question d'avortement non plus, le neuvième enfant va voir le jour d'ici peu…

 

L'avortement étant exclu ne se justifiait donc pas pour ces gens là l'écographie. La grossesse se fit à l'ancienne en observant la forme du ventre, sa rondeur, les déplacements de l'enfant dans sa piscine et particulièrement pour les remuants, les premiers coups de pompe ou les battements de pied d'un crawl éperdu. Avaient surgi alors quelques inquiétudes, la proéminence ventrale était bien arrondie mais pas comme on le voit couramment, certaines sont en ballons de rugby un peu pointés vers l'avant, d'autres plus régulières, celle-là était en forme de boule bien ronde, étonnant ! Alors les pronostiques vont bon train : « Ca pourrait être encore un garçon ! » s'exclame la cousine Josette, « Non Madame... », répond la pipelette de l'étage d'en dessous qui se mêle de tout, et d'ajouter : « Vous voyez bien que c'est une fille ! ».Affirmation péremptoire, sur sa lancée c'est tout juste si elle ne dit pas à qui ressemble le futur bambin. Mais le plus surprenant, c'est qu'il semblait n'y avoir aucune agitation à l'intérieur. Néanmoins, rien de vraiment alarmant qui eu justifié que l'on sonnât le branle bas de combat dans la corporation de ceux ayant fait allégeance au serment d'Hippocrate, à quoi bon se mettre le martel en tête, on verra bien quand il sortira, il ou elle d'ailleurs. De toute façon la mère n'avait pas le temps de s'examiner avec minutie trop occupée à surveiller le reste de la troupe.

 

Puis un beau matin en trempant une tartine dans le café tout à commencé. Les premières contractions. Quoi de plus normal, on a l'habitude, d'ailleurs personne ne s'est inquiété de savoir si c'était à terme ou pas. Bien, le moment était venu, un point c'est tout ! Pourquoi allez chercher midi à quatorze heure comme ces femmes de bourges qui guettent le moindre tressaillement pour se mettre en pamoison, c'est plus simple, Dame nature sait ce qu'elle fait, allez ! Peut-être, mais ils y avaient des signes discordants, la fréquence des contractions était un peu bizarroïde, le rejeton jusqu'à maintenant quiet n'arrêtait pas de tourner comme dans un tambour de machine à laver, ou à la manière d'une boule de flipper, un peu comme s'il cherchait avec frénésie la sortie.

 

Ce constat n'empêcha pas la mère de vaquer à ses occupations incontournables et dispatcher tout son petit monde, à l'école primaire, au lycée, à la crèche, chez les voisines, ouf ! Restait à prévenir le mari déjà embauché. Pour une fois le portable se révéla utile à quelque chose car notre maçon était sur un chantier, à Buffageasse, un lieudit autrefois ravitaillé par les corbeaux. Une fois prévenu, comme rien ne le retardait, lui, les parpaings pouvant bien attendre, la célérité qui était l'une de ses qualités fit qu'il arriva en même temps que sa femme à l'hôpital, où un voisin avait eu l'obligeance de la véhiculer tout en priant secrètement pour qu'elle n'accouchât pas dans sa bagnole. Il se demandait d'ailleurs s'il avait bien fait d'agir ainsi vu que la dame s'agitait un peu. Faut pas exagérer, on veut bien rendre service, mais de là à « dégueulasser » une bagnole presque neuve ça ne se fait pas dans un pays moderne où l'automobile fait figure de symbole de la civilisation. Un peu de respect tout de même !

 

A l'hôpital, c'est dans cette sorte de salle des pas perdus située à l'entrée qu'ils se sont retrouvés. Elle, un peu pâlotte, se tenant le ventre à deux mains, lui, sur les joues le rouge des hommes toujours au grand air, hésitaient quant à la conduite à tenir devant un groupe formé de personnels de l'hôpital, de blanc vêtus et brandissant fièrement une pancarte sur laquelle la ministre Bachelot n'était pas à son avantage, pour tout dire, ces braves gens n'avaient pas du tout la même optique qu'elle sur l'avenir de l'hôpital. Notre maçon que cela ne laissait pas indifférent dut faire un effort pour ne pas se mêler à la manif en oubliant sa femme déjà à l'accueil, où elle l'attendait pour remplir les papiers d'admission. Ce ne fut qu'une formalité, en deux temps trois mouvements Madame put rejoindre le service de gynécologie. C'est comme ça avec le service public, çà marche, et çà marche bien tant que des mal-pensants, qui préfèrent favoriser le privé pour engraisser le pécule des privilégiés plutôt que de servir la communauté, n'ont pas encore réussi à foutre en l'air ce qui appartient aux citoyens.

 

Ce ne fut pas pareil dans le service, le manque de personnel se faisant cruellement sentir de part l'indigence de ceux qui veulent détruire le public au profit du privé, il lui a donc fallut attendre quelque temps avant que l'on s'enquière de l'état de la patiente. Et encore, se fut une infirmière fatiguée, surmenée, qui passa en coup de vent pour dire que le gynécologue n'allait pas tarder. Attendre, encore attendre… Cela aurait pu devenir dramatique si les contractions se rapprochant il aurait fallu tout de suite rejoindre la salle de travail. Ce n'était pas le cas, pour tout dire ce qui inquiétait le plus notre brave femme, c'est que l'enfant ne paraissait pas pressé de sortir comme s'il refusait d'affronter ce bas-monde.

 

Le praticien arriva tel un météore, dépassé un peu par les événements semblait-il. Pour tout dire, c'était la fin de l'année, et les résultats d'un printemps précoce et tentateur avaient engorgé la gynécologie. Après quelques palpations rapides il donnera une explication qui, si elle ne rassura pas la mère, la conforta tout de même sur l'impression que ce n'était pas comme d'habitude. Sans prendre trop de gants l'homme de science annonça que l'enfant avait une grosse tête retardant une sortie rapide, et préconisa de fait, une épidurale. On imagine la tète de la mère à cette perspective, c'était bien la première fois qu'elle entendait parler de ce truc puisque pour les autres enfants cela n'avait pas demandé plus de formalité que de mettre une lettre à la poste. D'autant qu'ayant mal compris elle était persuadée que le môme avait un épi durable sur la tète et par conséquence cela gênait sa sortie. On lui expliqua alors qu'il s'agissait de l'endormir localement pour atténuer sa souffrance. Là, elle a failli se fâcher en disant que ce n'était pas la première fois qu'elle accouchait et par la même elle avait l'habitude de souffrir quelque peu. Re-palpations du toubib qui cette fois fut catégorique et décréta qu'il fallait endormir la patiente et faire une césarienne. Commençant d'ailleurs à être un peu contrarié, il dit qu'il allait œuvrer sur le champ et commanda que l'on expédia illico la dame vers le bloc opératoire, en rabrouant sèchement le mari qui commençait à rouscailler. Il y avait aussi une raison à son attitude, mais de cela il ne pouvait en parler ouvertement, car lors des palpations il avait été un peu étonné de la façon dont sa patiente ressentait les douleurs. Désordonnées, était le mot qui convient!

 

Il est inutile de s'attarder sur la césarienne qui se passa correctement. Le plus traumatisé ce fut s'en doute le père qui faisait les cent pas dans la salle d'attente. Il avait pourtant l'habitude n'ayant encore jamais assisté à un accouchement, disons pour ne pas épiloguer qu'il était de la vieille école. Mais cette fois sa femme était dans une salle d'opération et ça, c'était inaccoutumé.

 

Après le temps nécessaire en salle de réveil, direction la chambre où l'on fit venir aussi le mari en lui disant que tout c'était bien passé. C'est en arrivant dans la chambre que la surprise des parents fut grande en n'y trouvant pas l'enfant, et à la mine gênée de l'infirmière qui attendait l'accoucheur pour la visite postopératoire quelques inquiétudes commencèrent à torturer les entrailles. Effectivement, ça fait bizarre lorsque l'on s'attend à récupérer un môme braillant à tue tète parce que on l'a sorti de sa piscine pour le mettre à l'air libre, et que tente de consoler avec des grimaces une infirmière vieille fille, acariâtre et moustachue, ce qui n'arrange pas les choses. Et dans ces cas là, aussitôt, la mère pose tendrement l'enfant contre le sein, et, au contact qu'il vient de découvrir, à la voix qu'il connaît déjà, il se calme. Pas de cri, seulement voilà, l'enfant n'est pas là !

 

Comment dépeindre l'angoisse qui étreint les parents, le désespoir que l'on sent poindre, l'appréhension que génère l'annonce de la venue du chef de service, si ce n'est que cela se voit sur les visages anxieux. L'attente c'est le silence simplement marqué par la ronde des pas saccadés sur le sol ; un regard levé, interrogateur à la moindre allée et venue dans le couloir, et la reprise du mouvement perpétuel trahissant l'impatience ; l'œil en coin pour scruter les réactions de l'autre, interminable calvaire d'interrogations des plus aléatoires…

 

Une grande blouse blanche surgit d'on ne sait où, avec dedans un petit homme chauve très digne, et une ribambelle de jeunots et jeunettes accrochés à ses basques, c'est le grand, grand chef. Toute suite ça impose, les récriminations exacerbées par l'attente sont ravalées, et avant que la moindre question soit posée, un raclement de gorge en guise de préambule a focalisé l'attention des participants, et surtout des parents. Si tous les quidams présents impressionnés par la sommité avaient su que le plus emmerdé de l'affaire c'était lui, ne sachant comment annoncer la nouvelle, ils l'auraient sans doute pressé d'aller directement au fait. Au lieu de cela, tout le monde bouche bée, buvant les paroles du « Professeur », l'entendirent dire que tout c'était bien passé et que c'était un garçon… et puis, après un lourd silence, il lança dans l'air , comme ça, de façon anodine, qu'il y avait toutefois un léger problème. Là, tous les visages étaient marqués par le stress. Le père, lui, commençait à bouillir et à mâchonner des insanités en portugais à l'adresse du surhomme, en se disant qu'il voyait bien qu'il y avait un malaise puisque le môme n'était pas là. Bon voilà…, commença par dire le docte savant, puis d'un coup se lâchant, annonça d'une traite que l'enfant n'avait pas de jambe ! Stupéfaction ! A partir de cet instant commença à monter un brouhaha dans la chambre à travers lequel quelques questions pressantes se faisaient entendre. Mais coupant court aux récriminations, le chef comme libéré annonça aussi qu'il n'avait pas de bras. La mère effondrée guette dans le regarde de son mari un quelconque soutien, mais celui-ci aussi traumatisé que sa femme est entrain de déchiqueter sa casquette de ses grosses et fortes mains de manuel. Alors là, héroïque, après avoir repris son souffle, le petit homme qui s'était encore tassé sous le poids des responsabilités, lance précipitamment que le petit n'a pas non plus de tronc, mais qu'à part ça, tout va très bien. C'était un peu comme s'il avait annoncé une catastrophe à la manière de Collégiens de Ray Ventura qui chantait tout va très bien Madame la Marquise. Malgré cette fin optimiste, la catastrophe était arrivée, et bien arrivée, et les parents en prirent vraiment conscience en s'écriant en cœur : « Mais alors, c'est juste une tète ! ».

 

Le praticien, content de s'en être tiré à si bon compte cru bon de rajouter pour consoler tout le monde : « Oui mais, une belle petit Tète ! ».

 

Cet enfant bizarroïde fit une entrée fracassante dans la société puisqu'il fut amené à ses parents posé sur un cousin dans un carton dont on avait découpé le devant afin qu'il puisse être vu de tout le monde. De toute façon, on aurait pu l'amener juste sur le coussin car il ne risquait pas d'aller bien loin. Mais pour plus de commodité, n'ayant pas de couffin, le carton avait paru le plus judicieux à l'infirmière responsable de la pédiatrie. C'est ainsi que la p'tite tête fut présentée à sa mère qui s'effondra en larme en le prenant dans ses bras. On ne su jamais si c'était parce qu'elle ne savait comment le prendre, comment le tenir pour lui donner le sein, ou si c'était du désespoir, ou plus simplement parce qu'elle le trouvait craquant car c'était vraiment une très belle petite tête. Et facile à fringuer avec ça, un cache nez, un bonnet sur le crane…

 

Un petit nez mutin, juste comme il faut ; un regard bleu déjà rieur avec néanmoins une pointe de gravité qui donnait un éclat particulier au visage ; une bouche où l'arc de vénus prometteur des ravages qu'il allait commettre chez la gente féminine, ou masculine, qui sait !, où s'épanouissait pour l'instant des gazouillis d'enfants ; les oreilles un peu grandes certes, mais il fallait bien puisque les autres fonctions étant réduites que l'ouïe fût développée en conséquence ; et le tout surmonté d'une mèche de cheveux blonds en forme de point d'interrogation, tel était cette tête bien ronde et potelée. On lui chercha et trouva un prénom que tout le monde oubliera bien vite d'ailleurs, seul resta le surnom de : « P'tite Tête »…

 

Il était tellement beau et différent que la mère n'eut d'yeux que pour lui. Fut-ce aussi le ressentiment d'avoir mis au monde un être hors du commun qui fit qu'elle se prit d'une affection débordante pour ce petit dernier, qu'importe, elle n'avait de cesse que de le combler. La meilleur place à table, le couffin prônant, une cuillérée de chacun, l'enfant mangeait avec un plaisir évident, peu à peu le petite tète profita, de trop parfois car il était gourmand, mais que lui refuser vu son malheur. Très tôt, n'ayant pratiquement que cela à faire, l'enfant parla, et très vite se fut un langage châtié où le maniement du français qu'il employait était un plaisir pour l'auditeur qui l'écoutait discourir. A l'évidence on devinait chez cet être en raccourci une évidente précocité, un QI qui s'annonçait élevé. D'ailleurs, à l'école, où ses frères l'amenaient dans une sorte de cabas, les maîtres s'étonnaient de son intelligence et de sa mémoire assez phénoménale. Pourtant, quoi de plus logique quand se sont les seules facultés que l'on peut développer, sans doute, en plus eut-il fallu qu'il soit idiot pour compléter le tableau et le mettre dans une institution en marge de la société. De cela ses parents ne voulaient pas et c'est probablement pour cette raison qu'ils l'entouraient d'attentions.

 

Pour ceux de la fratrie, qui n'ont pas les responsabilités des adultes, les choses étaient un peu différentes. C'étaient le petit frère la « p'tite tête », celui qui aide ou le plus souvent fait les devoirs des autres, comme dit l'avant dernier : « Y dicte, y-a plus qu'à recopier »… Bien intégré, participant même aux jeux des frangins, disons que parfois comme ils n'avaient pas de ballon pour jouer au foot et cherchant un truc rond qui puisse rouler ils prirent ce qu'ils avaient sous la main, c'est comme ça les enfants, ils ne sont pas toujours tendre entre eux. Par contre, si quelqu'un avait le malheur de se moquer de la p'tite tête, il pouvait compter ses abatis. Une adolescence studieuse fut le cheminement de cet enfant vers une adolescence qui fut cependant un peu perturbée en son début par ce qui commence à titiller la libido naissante. Il n'y échappa pas, les pommettes un peu plus rouges, un regard arrêté sur un corsage tentateur, mais surtout le frétillement accentué des narines aux effluves lascives. Ce fut tout, et beaucoup de regret. Il se plongeait alors dans les études et commençait vraiment à devenir une tronche comme l'on dit vulgairement.

 

Ses parents qui n'avaient de cesse de vouloir son bien être avaient acheté fort cher un ordinateur fonctionnement vocalement. Une  merveille de la technologie qui avait vu la famille se priver sans arrière pensée pour l'offrir car étant exclu des aides allouées aux handicapés, un peu comme le sont les fauteuils roulants ayant des spécificités. Bref, la p'tite tête devint peu à peu un génie. A l'approche de l'âge adulte tout le monde s'interrogeaient pour savoir qu'elle serait la carrière qui irait le mieux en fonction de son handicap et de ses énormes capacités intellectuelles qui, d'ailleurs, avaient fait de son ordinateur un instrument dépassé plus en accord avec les besoins de son utilisateur. Mais, vu le prix d'un nouveau, il devra s'en doute attendre avant d'en avoir un. Peu importe, il est tellement doué qu'il s'en passait, mais quand même, ce n'est pas toujours facile de faire contre mauvaise fortune bon cœur. Cependant étant habitué aux aléas de la vie, il est des attentes que l'on fait dans la sagesse.

 

A vingt ans, si Chirac n'avait pas supprimé le service militaire et si la p'tite tête avait été un adolescent comme les autres sans doute aurait-il été sursitaire afin de poursuivre ses brillantes études. Quels que fut le cas, de toutes les manières il eut été anormal qu'il ne poursuive pas vu ses capacités. Donc, comme il a vingt ans, toute la famille a décidé d'arroser l'événement en s'offrant pour une fois une petite fête et un gros cadeau pour notre héros. Qui entre parenthèse se frotte déjà les mains, euh…, jubile, tortille le bout du nez, car il pense qu'enfin se présente une occasion exceptionnelle qui justifierait qu'on lui offrît le dernier ordinateur d'avant-garde, celui dont il a tant besoin et tant rêvé.

 

Le jour anniversaire tombant en semaine on attendit néanmoins le dimanche pour réunir toute la maisonnée. Comme tous les autres étaient maintenant dispersés cela permettait de mieux les rassembler et de ne pas gêner pour les occupations professionnelles. Et puis les traditions étant encore fortement ancrée dans cette famille quoi de plus normal qu'ils choisissent le dimanche, jour du seigneur, comme ils disent. Cependant comme les temps changent, la mère essaya bien d'emmener toute la troupe à la messe du matin, mais ne fut accompagné toutefois que d'une seule de ses belles-filles et de la p'tite tête qui malgré ses dénégations fut contraint, ne pouvant faire autrement. D'autant que le jeune homme était impatient, vivement le repas, et après le cadeau. Ce n'est pas qu'il fut intéressé de nature, mais l'événement était d'exception et en plus il était gourmand. Alors un gros gâteau et un super ordi, quoi espérer de mieux. Il est vrai que dans son cas, hormis la bouffe et les plaisirs intellectuels, son univers était assez réduit.

 

Pour ne pas faillir aux traditions, il y eut des huitres en entrée, portugaises comme de bien entendu, puis divers plats, nombreux, de l'agneau, du chevreau grillé et autres, à satiété comme  les circonstances commandaient, et enfin le gâteau, un bavarois, ça s'était la surprise. Pourquoi pas, si on a encore faim, avec ce genre d'étouffe chrétien le problème est réglé. Peu importe, la p'tite tête était ravi, lui si gourmand, en tous cas les choses étant bien faites ça augurait une suite radieuse. Le dernier coup de petite cuillère pour effacer de l'assiette à dessert le peu de chantilly restant, l'hymne à la joie retenti. On n'avait pas fait les choses à moitié… un énorme carton !

 

Ca, la p'tite tête s'y attendait et n'était pas dupe, un portable ça ne prend pas autant de place ; et puis il faut bien amuser la galerie et faire durer le plaisir, quoi que de plus naturel ; donc un empilage de cartons cela faisait partie des facéties habituelles. Pour prendre une comparaison osée et complètement idiote, c'est comme l'effeuilleuse qui ôte sensuellement un à un ses vêtements pour faire monter le plaisir. Nous en étions là quand arriva le troisième carton, celui-là était de taille raisonnable pour susciter tout les espoirs, comme de juste l'objet tant convoité est alors sorti délicatement par un Ainé pas peu fier de se voir attribuer une telle tache…

 

Un instant de stupeur, la P'tite Tête devenu blême, puis rouge de colère, et un grand cri proche de l'hystérie… :

 

« Meeeerde…. Encore un chapeau !!!! »

 

 

 

Ce n'est qu'un conte, mais par son intermédiaire j'ai tenté de dépeindre le reflet de notre regard sur les anormalités de notre société, et plus particulièrement sur le handicap pour lequel nous sommes souvent à côté de la plaque, si je puis me permettre d'employer cette expression familière. Par exemple, les lieux publics ne sont pas toujours adaptés malgré toutefois un effort certain. Mais c'est surtout une juste acuité de la différence qui est le plus délicat à cerner. Trop de compassions, pas assez d'attention, beaucoup d'incompréhension, que sais-je encore, ce qui domine c'est l'impression de ne savoir que faire, ou du moins comment faire. Peut-être, certainement si l'on y réfléchi, c'est probablement en essayant de se mettre dans la peau de l'autre que l'on trouve une part de vérité, et pas que pour le handicap d'ailleurs…

 

 



17/05/2009
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