Le Ragondin Furieux

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La culture, l’art, et le pouvoir !

La culture, l'art, et le pouvoir !

 



En cette période estivale fleurissent festivals, expositions, musées aux portes largement ouvertes, ceci réparti par le hasard des circonstances aux quatre coins de l'hexagone (lorsque je parle culture j'aime bien ressortir cette expression que l'on doit à un certain Christian Foucher en son temps ministre de l'éducation nationale du Général de Gaule et qui était de toute évidence fâché avec la géométrie). La culture s'imprègne souvent d'art, de toutes les formes que ce soit d'ailleurs, mais une question reste néanmoins en suspend, dans une période où on ne peut que constater une sorte de désintérêt et d'inculture manifeste du pouvoir en son plus haut échelon à son égard, quels sont par conséquence ses rapports avec la politique ?

 

Culture et engagement politique

 

Par Raoul-Marc Jennar

 

Depuis une trentaine d'années, le discours dominant incite à regarder l'engagement politique avec méfiance, avec suspicion. Parfois même à le rejeter. Chez nombre de personnes, l'engagement humanitaire a servi de substitut. Chez d'autres, des revendications et des résistances sectorielles tiennent lieu d'engagement politique. Ainsi, par exemple, contre le nucléaire, contre la malbouffe, les OGM et le brevetage du vivant, contre le changement climatique. Dans la plupart des cas, une démarche individuelle a été privilégiée par rapport à une approche collective. Cette évolution tranche nettement avec ce qu'on avait connu de 1945 à la fin des années soixante-dix.

 

Sans doute, peut-on attribuer cette évolution à deux évènements majeurs survenus au cours de la décennie qui a suivi :-

 

-Le projet de libérer tous les hommes, mais en commençant par les asservir, a connu l'échec tragique que l'on sait.

 
-Le triomphe d'un capitalisme mondialisé a fait naître le sentiment d'un cours inéluctable de l'Histoire des rapports humains.

 

Suite à ces désenchantements, a émergé un consensus mou pour considérer que l'individualisme, le chacun pour soi, le « coucooning » ne pouvaient être que les éléments constitutifs d'un comportement conséquent.

 

Ces évolutions, faut-il le rappeler, ont été fortement encouragées par l'appareil médiatique dont les mutations l'ont placé au service des pouvoirs financiers, économiques et politiques.

 

S'agissant de la culture, ces évolutions ont ramené au goût du jour une version actualisée d'un thème qui n'est pas neuf, l'art pour l'art. La création culturelle serait un acte de liberté individuelle davantage préoccupé d'esthétique, sublimant le geste créateur, se souciant peu du destinataire de la création, voire affirmant la prétention de ne pas porter de message, de ne s'adresser à personne.

 

Dans le cadre de cet évènement culturel majeur qu'est le Festival d'Avignon, qui à lui seul suscite de nombreuses interrogations, le NPA, entend s'inscrire dans ce débat. Et je remercie l'équipe animatrice du NPA du Vaucluse d'avoir organisé cette matinée.

 

Je suis, peut-être, un auteur ; je suis certainement un militant politique ; je ne suis en rien un philosophe de l'art. Mais il m'arrive, comme à beaucoup, de m'interroger sur les rapports entre la création et l'action. Et c'est à ce titre plus modeste que je présente cette très courte introduction à notre débat.

 

Parce qu'il naît d'une œuvre de l'esprit, l'art s'adresse aux sens, aux émotions, mais aussi à la raison. Il est à la fois témoignage et interpellation. Depuis les peintures de la grotte de Lascaux jusqu'aux tags d'aujourd'hui, l'art rupestre raconte et questionne. Il est message. Des ballades d'un François Villon au slam d'Abdl Al Malik, c'est, à travers les siècles, la même révolte jeune, populaire et impertinente qui s'exprime. Des églises romanes aux temples du parc d'Angkor, ne voit-on pas la même recherche de transcendance ? Que nous disent les sourires du prince Sidarta métamorphosé en Bouddha, de l'ange de Reims ou de l'énigmatique Mona Lisa ? Les films d'un Costa-Gravas, d'un Ken Loach, d'un Oliver Stone, d'un Tavernier ne sont-ils réalisés que pour notre distraction ?

 

Une œuvre de l'esprit est toujours une interpellation pour celui qui la reçoit. Pourrait-on parler d'une œuvre de l'esprit à propos d'une création qui ne porterait en elle aucun témoignage, aucune interrogation ? Que serait une sculpture, une musique, une peinture, un texte, une pièce de théâtre, un film qui ne susciterait aucune émotion, aucune réflexion ? Il y a donc une relation, singulière certes, entre la créateur – j'entends le créateur d'une oeuvre qui nous parle – et celui qui reçoit sa création.

 

Et c'est ici, pour traiter du sujet de notre matinée, qu'il nous faut poser la question de la condition des uns et des autres. Pour qui sculpte-t- on ? Pour qui peint-on ? Pour qui écrit-on une œuvre musicale ou le chapitre d'un livre ? Pour qui réalise-t-on une œuvre dramatique ou un film ? Et qui donc est celui ou celle qui reçoit cette œuvre ?

 

Nous ne sommes pas dans un monde parfait où des créateurs libres mettraient leur libre création à la disposition de femmes et d'hommes libres. Nous sommes dans un monde conditionnés par des rapports de force liés à des facteurs tels que la naissance, la religion, la richesse. Quelles que soient les formes qu'elle prenne, une division traverse l'humanité : entre ceux qui décident et ceux qui obéissent, c'est-à-dire entre ceux qui exploitent et ceux qui sont exploités. Cette réalité est aujourd'hui fortement occultée par le discours dominant qui, une fois de plus en ces temps de crise, s'emploie à faire croire à la multitude des exploités qu'elle est dans le même bateau que la minorité des exploiteurs. Mais nous ne pouvons pas en faire abstraction. Pas possible de dire, en raccourci « ça n'a rien à voir ».

 

Car, dans notre société duale, c'est précisément la fonction de la création, de la culture, qui est au coeur de notre débat. La question cardinale c'est : est-il possible, est-il pensable même, de faire une œuvre créatrice qui témoigne ou interpelle en faisant abstraction du monde réel qui, on le sait, n'est pas celui qu'on nous montre à voir ? Ni pour le créateur, ni pour celui qui reçoit le témoignage ou l'interpellation.

 

S'il est plus aisé aujourd'hui dans certains pays d'être un créateur libre créant librement son œuvre, convenons que ce n'est pas la règle partout et que l'exil est encore trop souvent le pays de celui qui refuse que son pinceau, sa plume ou son ciseau deviennent serviles ou restent muets.

 

Mais les limites à la liberté créatrice ne prennent pas toujours l'aspect brutal de la répression comme ce fut ou c'est encore le cas dans des régimes autoritaires, quelles que soient leurs références idéologiques. Elles sont parfois plus insidieuses, en particulier dans les démocraties dites libérales. Le pouvoir de l'argent, des relations, des connivences, de la presse sont des moyens redoutablement efficaces pour faite taire le créateur. Un esprit libre et créateur demeure encore et toujours une menace pour les pouvoirs en place. Il suffit pour s'en convaincre d'observer, dans la France de Sarkozy, l'émoi que la classe dirigeante s'emploie à susciter autour du petit livre « L'insurrection qui vient » lequel, convenons en, n'a qu'un rapport très lointain avec l'influence qu'eut en son temps l'Encyclopédie de Diderot, même s'il s'agit d'une dénonciation utile de l'appareil répressif mis en place depuis 2002.

 

Ne nous abusons pas non plus. Tous les créateurs ne sont pas des rebelles. Et certains remplissent avec zèle leur fonction courtisane. Ils nous offrent, aujourd'hui même, le spectacle de leur aptitude à la génuflexion dans les jardins de l'Elysée où le pouvoir en place célèbrera tout à l'heure non pas le 14 juillet 1789, mais bien davantage la fin du processus révolutionnaire, le 27 juillet 1794, ou selon le calendrier républicain, le 9 Thermidor de l'An II. Ces créateurs courtisans retrouveront leurs jumeaux, les créateurs partisans. Car il s'en trouve sous tous les régimes et sous toutes les latitudes. Le poète Gabriele d'Annunzio et le fascisme italien, l'architecte Albert Speer ou la cinéaste Leni Riefenstahl et le nazisme, Andreï Jdanov et sa cohorte de promoteurs du réalisme socialiste en URSS et dans les pays satellites, le Détachement féminin rouge du ballet de Pékin. L'art non pas comme facteur d'émancipation, mais comme conditionnement au service du pouvoir politique. Entre ces créateurs partisans et ceux qui sévissent aujourd'hui dans les médias pour nous convaincre que le capitalisme relève de l'ordre naturel des choses et constitue l'horizon indépassable de l'humanité, quelle différence ? Ils remplissent tous la même fonction. Déjà, Bertolt Brecht, dans sa dernière pièce, qui, je vous le signale, nous est donnée à voir au cours de ce Festival, appelait ces intellectuels de ce temps de marché et de marchandises des « loueurs de l'intellect », « des blanchisseurs d'opinion » des maîtres de « l'art de la lèche ».

 

Mais, me direz-vous, ne s'agit-il pas précisément d'exemples de ce que donne la confusion entre culture et engagement politique ?. Posons la question autrement, voulez-vous. Dans quelle mesure peut-il y avoir compatibilité entre l'acte créateur et un projet politique ?

 

Le créateur libre crée pour un homme qui se veut libre. Il ne crée pas pour un monde d'obscurantisme, de servitude et d'aliénation. Il ne crée pas pour inviter à la résignation et à la soumission. La culture se réduit à de la propagande lorsqu'elle se met au service d'un pouvoir quel qu'il soit et nous avons encore tous dans les oreilles la terrible phrase d'un dramaturge nazi, si souvent répétée par Baldur von Schirach, le chef des Jeunesses hitlériennes « quand j'entends le mot culture, je sors mon révolver ». La culture cesse d'être la culture quand elle signifie alignement et allégeance à une idéologie ou à un parti politique.

 

Par contre, la culture remplit pleinement sa fonction lorsqu'elle aide à l'émancipation, à la contestation, à la rébellion contre tous les ordres établis. Quoi de plus contestataires que les fables de La Fontaine ou certaines pièces de Molière en ces temps d'absolutisme royal ? Quoi de plus séditieux que les poèmes d'un Garcia Lorca ou d'un Pablo Neruda, que les romans du Malraux d'avant-guerre, que des films comme les « Sentiers de la Gloire » de Kubrick, « Z » de Costa-Gavras ou encore It's a Free World de Ken Loach ?

 

Aussi, je ne pense pas m'avancer en affirmant que la vraie culture, la vraie création sont celles qui traduisent un engagement politique au service de l'émancipation comme de la justice. Car il est manifeste que l'engagement politique du créateur en faveur de l'émancipation et de la justice ne peut s'apparenter au ralliement à une structure de pouvoir, quelle qu'elle soit. Nous avons trop connu de ces artistes fourvoyés dans les multiples et souvent contradictoires défenses de la ligne du Parti pour ne pas confondre engagement politique et alignement.

 

Le créateur libre s'engage. Mais cet engagement est libre lui aussi. Le créateur qui s'engage pour l'émancipation et la justice sort bien évidemment de l'isolement qu'implique souvent son activité créatrice et rejoint un combat collectif. Mais il reste libre. Son adhésion à cette démarche collective ne signifie pas alignement. Qu'on se souvienne de l'engagement de ces femmes artistes lors du combat pour la dépénalisation de l'avortement, ou de Sartre juché sur un tonneau pour vendre Libération, première formule ou de Bourdieu se saisissant d'un mégaphone pour s'adresser aux manifestants rassemblés devant la gare de Lyon en décembre 1995. On ne les a pas vus par la suite prolonger leur engagement par un alignement sur les errements d'une gauche qui se renie chaque fois qu'elle arrive au pouvoir.

 

Je conclurai donc en considérant qu'il n'y a de vraie culture qu'une culture libre de tout lien avec tous les pouvoirs et que, ainsi entendue, cette culture ne peut être qu'une culture engagé

 



02/08/2009
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