Le Ragondin Furieux

Le Ragondin Furieux

Le noël de Léon

Le noël de Léon


Par JB

Il a pas l'air con, Léon, dans son costume rouge trop grand pour lui avec cette fausse barbe blanche. Il s'est aperçu dans une vitrine de la galerie marchande et n'a pas été vraiment flatté par l'image renvoyée par la vitre, en surimpression du contenu de micro-ondes et d'écrans plats, comme sur une photo superposée. Pas reluisant, le Père-Noël ! Il se demande comment des gamins que leurs parents croient géniaux et surdoués peuvent se laisser abuser par un personnage aussi pitoyable.

C'est tout ce qu'il a trouvé comme petit boulot pour rompre la monotonie du chômage, et glaner un peu de fric. L'hyper- marché l'a embauché pour une quinzaine. Deux cents euros, avec le casse-croûte de midi, c'est toujours bon à prendre. Il n'aurait jamais cru en arriver là. La barbe le chatouille et lui donne chaud et le costume sent mauvais. « Si ça se trouve, ils ne l'ont pas lavé depuis la dernière fois ! » Il déambule dans la galerie et les rayons, entre les montagnes obscènes de denrées accumulées là comme une insulte aux pauvres du monde entier. Comme on le lui a demandé, il agite une clochette, un peu comme ces lépreux du Moyen-âge pour annoncer leur arrivée à l'approche des villages, tandis que la voix sirupeuse de l'hôtesse déguisée en majorette annonce au milieu des notes du Jingle bells, des Merry Christmas enthousiastes, comme dans n' importe quel magasin étasunien.

On le prend en photo devant un décor de circonstance avec des enfants sur les genoux ou dans les bras. Il déteste les enfants et il met un malin plaisir à faire la gueule pendant la pose. Il y en a qui hurlent de frousse ; ça l'agace et l'amuse en même temps. Bien fait pour ces petits cons fils et filles de cons venus faire le plein de boustifaille de mauvaise qualité qu'ils vomiront bientôt et de jouets en plastique qui ne dureront pas plus de deux jours avant d' atterrir à la poubelle ou dans les corbeilles de l' Emmaüs du coin. Il brûle d' envie de foutre leur des baffes, et aussi aux parents dégoulinants d'admiration pour leur progéniture-tortionnaire et de lâcheté devant ces mômes mal élevés par eux, qui les mènent par le bout du nez et les font tourner bourriques.

C'est long, une journée avec juste une pause d'un quart d'heure pour le « sandouitche-Macdo » de midi, qu'il bouffe entre deux portes dans un réduit puant où l'on range le matériel de nettoyage du magasin. Il a déposé le long du mur la copie en plastique du fusil à pompe qu'un gamin ne voulait pas lâcher.

« Un magasin qui vous ressemble » annonce l'affiche géante appliquée dans le hall ! « Ça me ferait mal de ressembler à ça », se dit-il entre deux bouchées du casse-croûte jambon-mayonnaise sans goût. Comment peut-on fabriquer quelque chose d'aussi mou et insipide, et, qui plus est, arriver à le vendre ? Il avale avec une grimace de dégoût une gorgée de Coca tiède pour faciliter la déglutition de l'infâme becquetance. « Pas d'alcool ! » a bien insisté Madame Gisèle, la chef du personnel, tailleur gris sur chemisier blanc boutonné haut, souliers plats, chignon strict et regard sévère de Folcoche à qui on a octroyé une parcelle de pouvoir. Pas baisante, celle-là ! Il aimerait bien lui ébranler le chignon à Mâme Gisèle, et lui froisser un peu le chemisier ; ça la dériderait sûrement. N'empêche, il s'en jetterait bien un petit derrière le coton de la barbe que pour l' instant il porte en sautoir autour du cou. L'idée du Père-Noël culbutant sauvagement une Madame Gisèle décoiffée contre un pilier de béton du sous-sol amène un sourire sur sa face fatiguée, quelques bribes de coton accrochées à ses joues mal rasées, ce que lui a reproché le chignon. Il chasse l'image de son esprit et pousse la porte pour aller reprendre son service.

Il était au milieu de la galerie, son imitation de fusil à la main, jambes écartées comme le héros à la fin du western, quand il s'est aperçu qu'il n' avait pas remis sa barbe. Il n' a pas eu le temps de s'étonner qu' elle soit désertée ni de réparer son erreur, fauché par une rafale de Kalachnikov lâchée par un des trois petits cons qui prenaient la fuite après avoir tenté de braquer la caisse du Super-marché.

« Pauvre diable, a seulement dit Madame Gisèle, debout, toujours aussi impeccable et rigide devant le corps criblé du Père-Noël. Finalement, il est mieux sans la barbe. C'est malin : le costume est fichu ! » Ce sera sa seule oraison funèbre, à Léon.

13/12/2011



23/12/2011
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